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mardi 31 juillet 2012

Une forme de vie - Amélie Nothomb

"Avant mes 30 ans, j'avais des idéaux, des rêves, et j'ai essayé de les atteindre. Je voulais devenir le nouveau Kerouac, mais j'ai eu beau parcourir les routes sous benzédrine, je n'ai pas écrit une ligne valable. Je me suis rempli d'alcool pour devenir le nouveau Bukowski et là, j'ai touché le fond. Bon, j'ai compris que je n'étais pas un écrivain. J'ai tenté la peinture: catastrophe. Le drip-ping, ce n'est pas aussi facile qu'on croit. J'ai voulu faire l'acteur, ça n'a rien donné non plus. J'ai vécu dans la rue. Je suis content d'avoir connu ça, dormir dehors. Ca m'a beaucoup appri."

"On imagine, peut-être naïvement, que les romanciers ont accès à l'âme des gens, aux expériences qu'ils n'ont pas vécues. Ca m'avait frappé dans De sang froid de Truman Capote: cette impression que l'auteur connaissait intimement chaque personnage, même secondaire. Je voudrais que vous me connaissiez comme ça."

"Les gens sont des pays. Il est merveilleux qu'il en existe tant et qu'une perpétuelle dérive des continents fasse se rencontrer des îles si neuves. Mais si cette tectonique des plaques colle le territoire inconnu contre votre rivage, l'hostilité apparaît aussitôt. Il n'y a que deux solutions: la guerre ou la diplomatie."

"pourquoi un ami d'encre et de papier vaudrait-il moins qu'un ami de chair?"

"Je pris le cliché en pleine figure: on y voyait une chose nue et glabre, tellement énorme qu'elle débordait du cadre. C'était une boursouflure en expansion: on sentait cette chair en continuelle recherche de possibilités inédites de s'étendre, d'enfler, de gagner du terrain. Le graisse fraîche devait traverser des continents de tissus adipeux pour s'épanouir à la surface, avant de s'encroûter en barde de rôti, pour devenir le socle du gras neuf. C'était la conquête du vide par l'obésité: grossir annexait le néant.
Le sexe de cette tumeur n'était pas identifiable. Alors que l'individu se tenait debout face à l'objectif, l'ampleur des bourrelets cachait les parties génitales. Les seins gigantesques suggéraient une femme mais, noyés parmi tant d'autre replis et protubérances, ils perdaient leur impact de mamelles pour s'assimiler à des pneus.
Il me fallut un certain temps pour me souvenir que cette efflorescence était humaine et qu'il s'agissait de mon correspondant, le 2e classe Melvin Mapple. J'ai vécu plus qu'à mon tour l'expérience toujours étonnante qui consiste à mettre un visage sur une écriture: dans le cas du soldat, il allait être difficile d'isoler du corps le visage poldérisé par la graisse. Déjà, il n'avait plus de cou, car l'isthme censé relier la tête au tronc ne présentait pas le caractère d'étroitesse relative qui permet d'identifier ce segment. Je songeai qu'il eût été impossible de guillotiner cet homme, ou même simplement de lui poser le port d'une cravate.
Tel que je le découvrais, Melvin Mapple avait encore des traits, mais on ne pouvait plus les qualifier: on ne pouvait dire s'il avait le nez busqué ou retroussé, la bouche grande ou petite, les yeux ceci ou cela; on pouvait dire qu'il avait un nez, une bouche et des yeux, et c'était déjà quelque chose - on ne pouvait en dire autant du menton, disparu depuis longtemps. On sentait avec angoisse que viendrait un moment où ces éléments de base s'enliseraient eux aussi et ne seraient plus visibles. Et l'on se demandait comment cet être vivant ferait alors pour respirer, pour parler et pour voir.
Les yeux évoquaient les points de renfoncement d'un fauteuil capitonné: censés être le miroir de l'âme, on n'y lisait rien d'autre qu'un effort pour se frayer un passage jusqu'au monde extérieur. Le nez, virgule de cartilage dans un océan de chair, possédait ses narines comme un trésor précaire: un jour, cette prise de courant serait absorbée par la maçonnerie de la graisse. Il fallait espérer que l'individu pourrait alors respirer par la bouche, qui tiendrait sans doute jusqu'au bout, elle, animée par la force de survie des assassins.
Difficile en effet de regarder ce qui restait de cette bouche sans penser que c'était elle la responsable, que c'était cet orifice infime qui avait livré passage à cette invasion. Nous savons tous que c'est le cerveau qui commande et pourtant, quand nous rencontrons un sculpteur, nous observons ses mains, quand nous fréquentons un parfumeur, nous guettons son nez, et les jambes de la danseuse nous obnubilent plus que sa tête. Les lèvres de Melvin Mapple avaient bel et bien été les pionnières de cette suffocante expansion dans l'espace, ses dents avaient commis cet acte volontaire de mâcher tant de nourriture. Cette bouche fascinait comme fascinent les grands meurtriers de l'Histoire.
J'avais connu cet homme par correspondance. Ses phalanges paraissaient microscopiques au bout de ses bras hypertrophiés et je mesurais combien un tel volume de graisse devait gêner l'écriture. Celle-ci avait dû traverser tant de chair pour me parvenir. La distance entre l'Irak et la France me semblait moins formidable que celle séparant le cerveau du soldat de sa main.
Le cerveau de Melvin Mapple: comment n'y pas songer? La matière grise est constituée essentiellement de gras: en cas d'amaigrissement excessif, la cervelle subit des séquelles. Qu'arrive-t-il dans le cas inverse? Le cerveau grossit-il aussi, ou devient-il simplement encore plus gras? Si oui, en quoi cela change-t-il la pensée? L'intelligence d'un Churchill ou d'un Hitchcock n'avait pas pâti de l'obésité de leur propriétaire, certes, mais nul doute que se trimbaler tant de poids influe d'une manière ou d'une autre sur le mental."

Pour effacer jusqu'au souvenir du cliché, je remplis ma déclaration d'impôts: les tâches abrutissantes aident à vivre, je l'ai souvent observé."

"j'ai souvent remarqué combien les écritures américaines se ressemblent - je parle ici de ces écritures détachées qu'on enseigne dans certaines écoles et non des écritures cursives qui, elles, sont immanquablement personnelles."

"Quand je traversais l'Amérique à pied, comme tout successeur de Kerouac qui se respecte, j'ai essayé les drogues disponibles sur les routes et dans le désert, ce qui fait beaucoup. Les potes ont toujours une substance en poche: "Share the experience", vous dit-on en vous la tendant. Je n'ai jamais refusé. J'ai aimé certains produits et en ai détesté d'autres. Mais même ceux auxquelles j'ai le plus accroché n'ont jamais provoqué en moi le centième de l'addiction déclenchée par la bouffe. Quand je vois des campagnes de prévention contre les drogues à la télévision, je me demande ce qu'on attend pour nous prévenir contre notre véritable ennemi."

"Depuis que tu as commencé à écrire, quelle est ta quête? Que convoites-tu avec une si remarquable ardeur depuis si longtemps? Pour toi, écrire, qu'est-ce que c'est?
Tu le sais: si tu écris chaque jour de ta vie comme une possédée, c'est parce que tu as besoin d'une issue de secours. Etre écrivain, pour toi, cela signifie chercher désespérément la porte de sortie. Une péripétie que tu dois à ton inconscience t'a amenée à la trouver. Reste dans cet avion, attends l'arrivée. Tu remettras les documents à la douane. Et ta vie impossible sera finie. Tu seras libérée de ton principal problème qui est toi-même."

Une forme de vie - Amélie Nothomb

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