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mardi 31 juillet 2012

Une forme de vie - Amélie Nothomb

"Avant mes 30 ans, j'avais des idéaux, des rêves, et j'ai essayé de les atteindre. Je voulais devenir le nouveau Kerouac, mais j'ai eu beau parcourir les routes sous benzédrine, je n'ai pas écrit une ligne valable. Je me suis rempli d'alcool pour devenir le nouveau Bukowski et là, j'ai touché le fond. Bon, j'ai compris que je n'étais pas un écrivain. J'ai tenté la peinture: catastrophe. Le drip-ping, ce n'est pas aussi facile qu'on croit. J'ai voulu faire l'acteur, ça n'a rien donné non plus. J'ai vécu dans la rue. Je suis content d'avoir connu ça, dormir dehors. Ca m'a beaucoup appri."

"On imagine, peut-être naïvement, que les romanciers ont accès à l'âme des gens, aux expériences qu'ils n'ont pas vécues. Ca m'avait frappé dans De sang froid de Truman Capote: cette impression que l'auteur connaissait intimement chaque personnage, même secondaire. Je voudrais que vous me connaissiez comme ça."

"Les gens sont des pays. Il est merveilleux qu'il en existe tant et qu'une perpétuelle dérive des continents fasse se rencontrer des îles si neuves. Mais si cette tectonique des plaques colle le territoire inconnu contre votre rivage, l'hostilité apparaît aussitôt. Il n'y a que deux solutions: la guerre ou la diplomatie."

"pourquoi un ami d'encre et de papier vaudrait-il moins qu'un ami de chair?"

"Je pris le cliché en pleine figure: on y voyait une chose nue et glabre, tellement énorme qu'elle débordait du cadre. C'était une boursouflure en expansion: on sentait cette chair en continuelle recherche de possibilités inédites de s'étendre, d'enfler, de gagner du terrain. Le graisse fraîche devait traverser des continents de tissus adipeux pour s'épanouir à la surface, avant de s'encroûter en barde de rôti, pour devenir le socle du gras neuf. C'était la conquête du vide par l'obésité: grossir annexait le néant.
Le sexe de cette tumeur n'était pas identifiable. Alors que l'individu se tenait debout face à l'objectif, l'ampleur des bourrelets cachait les parties génitales. Les seins gigantesques suggéraient une femme mais, noyés parmi tant d'autre replis et protubérances, ils perdaient leur impact de mamelles pour s'assimiler à des pneus.
Il me fallut un certain temps pour me souvenir que cette efflorescence était humaine et qu'il s'agissait de mon correspondant, le 2e classe Melvin Mapple. J'ai vécu plus qu'à mon tour l'expérience toujours étonnante qui consiste à mettre un visage sur une écriture: dans le cas du soldat, il allait être difficile d'isoler du corps le visage poldérisé par la graisse. Déjà, il n'avait plus de cou, car l'isthme censé relier la tête au tronc ne présentait pas le caractère d'étroitesse relative qui permet d'identifier ce segment. Je songeai qu'il eût été impossible de guillotiner cet homme, ou même simplement de lui poser le port d'une cravate.
Tel que je le découvrais, Melvin Mapple avait encore des traits, mais on ne pouvait plus les qualifier: on ne pouvait dire s'il avait le nez busqué ou retroussé, la bouche grande ou petite, les yeux ceci ou cela; on pouvait dire qu'il avait un nez, une bouche et des yeux, et c'était déjà quelque chose - on ne pouvait en dire autant du menton, disparu depuis longtemps. On sentait avec angoisse que viendrait un moment où ces éléments de base s'enliseraient eux aussi et ne seraient plus visibles. Et l'on se demandait comment cet être vivant ferait alors pour respirer, pour parler et pour voir.
Les yeux évoquaient les points de renfoncement d'un fauteuil capitonné: censés être le miroir de l'âme, on n'y lisait rien d'autre qu'un effort pour se frayer un passage jusqu'au monde extérieur. Le nez, virgule de cartilage dans un océan de chair, possédait ses narines comme un trésor précaire: un jour, cette prise de courant serait absorbée par la maçonnerie de la graisse. Il fallait espérer que l'individu pourrait alors respirer par la bouche, qui tiendrait sans doute jusqu'au bout, elle, animée par la force de survie des assassins.
Difficile en effet de regarder ce qui restait de cette bouche sans penser que c'était elle la responsable, que c'était cet orifice infime qui avait livré passage à cette invasion. Nous savons tous que c'est le cerveau qui commande et pourtant, quand nous rencontrons un sculpteur, nous observons ses mains, quand nous fréquentons un parfumeur, nous guettons son nez, et les jambes de la danseuse nous obnubilent plus que sa tête. Les lèvres de Melvin Mapple avaient bel et bien été les pionnières de cette suffocante expansion dans l'espace, ses dents avaient commis cet acte volontaire de mâcher tant de nourriture. Cette bouche fascinait comme fascinent les grands meurtriers de l'Histoire.
J'avais connu cet homme par correspondance. Ses phalanges paraissaient microscopiques au bout de ses bras hypertrophiés et je mesurais combien un tel volume de graisse devait gêner l'écriture. Celle-ci avait dû traverser tant de chair pour me parvenir. La distance entre l'Irak et la France me semblait moins formidable que celle séparant le cerveau du soldat de sa main.
Le cerveau de Melvin Mapple: comment n'y pas songer? La matière grise est constituée essentiellement de gras: en cas d'amaigrissement excessif, la cervelle subit des séquelles. Qu'arrive-t-il dans le cas inverse? Le cerveau grossit-il aussi, ou devient-il simplement encore plus gras? Si oui, en quoi cela change-t-il la pensée? L'intelligence d'un Churchill ou d'un Hitchcock n'avait pas pâti de l'obésité de leur propriétaire, certes, mais nul doute que se trimbaler tant de poids influe d'une manière ou d'une autre sur le mental."

Pour effacer jusqu'au souvenir du cliché, je remplis ma déclaration d'impôts: les tâches abrutissantes aident à vivre, je l'ai souvent observé."

"j'ai souvent remarqué combien les écritures américaines se ressemblent - je parle ici de ces écritures détachées qu'on enseigne dans certaines écoles et non des écritures cursives qui, elles, sont immanquablement personnelles."

"Quand je traversais l'Amérique à pied, comme tout successeur de Kerouac qui se respecte, j'ai essayé les drogues disponibles sur les routes et dans le désert, ce qui fait beaucoup. Les potes ont toujours une substance en poche: "Share the experience", vous dit-on en vous la tendant. Je n'ai jamais refusé. J'ai aimé certains produits et en ai détesté d'autres. Mais même ceux auxquelles j'ai le plus accroché n'ont jamais provoqué en moi le centième de l'addiction déclenchée par la bouffe. Quand je vois des campagnes de prévention contre les drogues à la télévision, je me demande ce qu'on attend pour nous prévenir contre notre véritable ennemi."

"Depuis que tu as commencé à écrire, quelle est ta quête? Que convoites-tu avec une si remarquable ardeur depuis si longtemps? Pour toi, écrire, qu'est-ce que c'est?
Tu le sais: si tu écris chaque jour de ta vie comme une possédée, c'est parce que tu as besoin d'une issue de secours. Etre écrivain, pour toi, cela signifie chercher désespérément la porte de sortie. Une péripétie que tu dois à ton inconscience t'a amenée à la trouver. Reste dans cet avion, attends l'arrivée. Tu remettras les documents à la douane. Et ta vie impossible sera finie. Tu seras libérée de ton principal problème qui est toi-même."

Une forme de vie - Amélie Nothomb

Le fait du prince - Amélie Nothomb

 "J'éclatai d'un rire narquois quand je vis la villa. La villa, c'est l'idée que les âmes simples se font du luxe. L'instinct complète "Villa mon rêve". Toute villa s'appelle ainsi. Une villa n'a pas de fenêtres, mais des baies vitrées. J'en déteste la fonction. La fenêtre sert aux habitants d'une maison à voir l'extérieur, tandis que la baie vitrée sert aux habitants d'une villa à être vus de l'extérieur. La preuve c'est que la baie vitrée va jusqu'à terre: or les pieds ne regardent pas. Cela permet de montrer aux voisins qu'on porte de belles chaussures, même quand on reste chez soi."

"Elle parlait sans aucun accent. J'étais épaté. Paradoxalement, cela soulignait son origine étrangère. Sa prononciation trop parfaite n'était pas d'une Française de souche."

"Pour museler la mélodie dans ma tête, je m'orchestrai Strawberry Fields, puis Enjoy The Silence, puis Satisfaction, puis Bullet with Butterfly Wings, puis New Born: cette cacophonie ne m'aida pas. La suite de dix notes stupides émergeait par-dessus les Beatles, Depeche Mode, les Stones, les Smashing Pumpkins et Muse comme de la mauvaise herbe phonique. En compensation, ces efforts m'anesthésièrent de fatigue et je me rendormis."

"-Il faut glisser des fictions dans la vie. Comme les enfants. Cela donne des conséquences intéressantes."

Le fait du prince - Amélie Nothomb

dimanche 29 juillet 2012

Acide sulfurique - Amélie Nothomb

"Pannonique avait encore embelli depuis qu'elle s'était nommée. Son éclat avait accru son éclat. Et puis, on est toujours plus beau quand on est désigné par un terme, quand on a un mot rien que pour soi. Le langage est moins pratique qu'esthétique. Si, voulant parler d'une rose, on ne disposait d'aucun vocable, si l'on devait à chaque fois dire "la chose qui se déploie au printemps et qui sent bon", la chose en question serait beaucoup moins belle. Et quand le mot est un mot luxueux, à savoir un nom, sa mission est de révéler la beauté.
Dans le cas de Pannonique, si son matricule se contentait de la désigner, son nom la portait autant qu'elle le portait. Si l'on faisait résonner ces trois syllabes le long du tube du Cratyle, on obtenait une musique qui était son visage.
Qui dit mission dit parfois erreur. Il y a des gens que leur nom ne désigne pas. On rencontre une fille qui a une tête à s'appeler Aurore: on découvre que, depuis vingt ans, ses parents et ses proches l'appellent Bernadette. Pourtant, une telle bavure ne contredit pas cette vérité inflexible: il est toujours plus beau de porter un nom. Habiter des syllabes qui forment un tout est l'une des immenses affaires de la vie."

Acide sulfurique - Amélie Nothomb

vendredi 27 juillet 2012

Robert des noms propres - Amélie Nothomb

Au cours de théâtre, le professeur décida que Plectrude et un de ses camarades joueraient une scène de La Cantatrice chauve. Ce texte intrigua si profondément la jeune fille qu'elle se procura les œuvres complètes d'Ionesco. Ce fut une révélation: elle connut enfin cette fièvre qui pousse à lire des nuits entières.
Elle avait souvent essayé de lire, mais les livres lui tombaient des mains. Sans doute chaque être a-t-il, dans l'univers de l'écrit, une œuvre qui le transformera en lecteur, à supposer que le destin favorise leur rencontre. Ce que Platon dit de la moitié amoureuse, cet autre qui circule quelque part et qu'il convient de trouver, sauf à demeurer incomplet jusqu'au jour du trépas, est encore plus vrai pour les livres.
«Ionesco est l'auteur qui m'était destiné», pensa l'adolescente. Elle en conçut un bonheur considérable, l'ivresse que seule peut procurer la découverte d'un livre aimé.
Il peut arriver qu'un premier coup de foudre littéraire déchaîne le goût de la lecture chez l'intéressé; ce ne fut pas le cas de la jeune fille, qui n'ouvrit d'autres livres que pour se persuader de leur ennui. Elle décida qu'elle ne lirait pas d'autres auteurs et s'enorgueillit du prestige d'une telle fidélité."

"Lors d'une répétition, comme il lui disait une réplique d'une vérité prodigieuse («La philologie mène au crime»), elle lui répondit qu'il serait le père de son enfant. Il crut à un procédé langagier digne de La Cantatrice chauve et acquiesça. La nuit même, elle le prit au mot. Un mois plus tard, Plectrude sut qu'elle était enceinte. Avis à ceux, s'ils existent, qui ne verraient encore en Ionesco qu'un auteur comique."

"Elle le reconnut aussitôt.
Ils eurent le prélude amoureux le plus court de l'Histoire.
– Tu as quelqu'un? demanda Mathieu sans perdre une seconde.
– Célibataire, avec un bébé, répondit-elle aussi sec.
– Parfait. Tu me veux?
– Oui.
Il empoigna les hanches de Plectrude et les retourna à cent quatre-vingts degrés, pour qu'elle n'eût plus les pieds dans le vide. Ils se roulèrent un patin afin de sceller ce qui avait été dit.
– Tu n'étais pas en train de te suicider, par hasard?
– Non, répondit-elle par pudeur.
Il lui roula un nouveau patin. Elle pensa: «II y a une minute, j'étais sur le point de me jeter dans le vide, et maintenant je suis dans les bras de l'homme de ma vie, que je n'avais plus vu depuis sept ans, que je croyais ne plus jamais revoir. Je décide de remettre ma mort à une date ultérieure.»
Plectrude découvrit une chose surprenante: on pouvait être heureux à l'âge adulte.
– Je vais te montrer où j'habite, dit-il en l'emmenant.
– Que tu es rapide!
– J'ai perdu sept ans. Ça m'a suffi."

Robert des noms propres
- Amélie Nothomb

jeudi 26 juillet 2012

Cosmétique de l'ennemi - Amélie Nothomb

"Les choses qui plaisent à l'oreille sont celles qui plaisent à l'esprit." - Gustave Guillaume
"Que peut-on faire contre les gens de votre espèce ? S'enfermer aux toilettes ?"
"J'aime ces accès de lucidité."
"Sans maladie, pas de guérison."
"-La personne humaine ne présente qu'un seul point faible : l'oreille.
-C'est faux. Il y a les boules Quies.
-Oui, les boules Quies : la plus belle invention de l'homme."
"Je vivais en autarcie autour de mon nombril."
"Passons sur ces considérations d'une profondeur vertigineuse."
"Je suis quelqu'un d'extrêmement formaliste. J'agis en fonction d'une cosmétique rigoureuse et janséniste."
"La cosmétique, ignare, est la science de l'ordre universel, la morale suprême qui détermine le monde."
"Depuis que je t'ai refilé la patate chaude de la culpabilité, tu me crois sans aucune peine."
"-Risquer sa vie, en l'occurrence.
-C'est un pléonasme. Le risque, c'est la vie même. On ne peut risque que sa vie. Si on ne la risque pas, on ne vit pas."

Cosmétique de l'ennemi - Amélie Nothomb

Métaphysique des tubes - Amélie Nothomb

"Il existe depuis très longtemps une immense secte d'imbéciles qui opposent sensualité et intelligence. C'est un cercle vicieux: ils se privent de volupté pour exalter leurs capacités intellectuelles, ce qui a pour résultat de les appauvrir. Ils deviennent de plus en plus stupides, ce qui les conforte dans leur conviction d'être brillants - car on n'a rien invente de mieux que la bêtise pour se croire intelligent.
La délectation rend humble et admiratif envers ce qui l'a rendue possible, le plaisir éveille l'esprit et le pousse tant a la virtuosité qu'a la profondeur. C'est une si puissante magie qu'a défaut de volupté, l'idée de volupté suffit. Du moment qu'existe cette notion, l'être est sauve. Mais la frigidité triomphante se condamne a la célébration de son propre néant.
On rencontre dans les salons des gens qui se vantent haut et fort de s'être prives de tel ou tel délice pendant vingt-cinq ans. On rencontre aussi de superbes idiots qui se glorifient de ne jamais écouter de musique, de ne jamais ouvrir un livre ou de ne jamais aller au cinéma. Il y a aussi ceux qui espèrent susciter l'admiration par leur chasteté absolue. Il faut bien qu'ils en tirent vanité: c'est le seul contentement qu'ils auront dans leur vie."

"L’eau en dessous de moi, l’eau au-dessus de moi, l’eau en moi – l’eau, c’était moi. Ce n’était pas pour rien que mon prénom, en japonais, comportait la pluie. À son image, je me sentais précieuse et dangereuse, inoffensive et mortelle, silencieuse et tumultueuse, haïssable et joyeuse, douce et corrosive, anodine et rare, pure et saisissante, insidieuse et patiente, musicale et cacophonique – mais au-delà de tout, avant d’être quoi que ce fût d’autre, je me sentais invulnérable.
On pouvait se protéger de moi en restant sous un toit ou un parapluie sans que cela me perturbe. À court ou à long terme, rien ne pouvait m’être imperméable. On pouvait toujours me recracher ou se blinder contre moi, je finirais néanmoins par m’infiltrer. Même dans le désert, on ne pouvait être absolument sûr de ne pas me rencontrer – et on pouvait être absolument sûr d’y penser à moi. On pouvait me maudire en me regardant continuer à tomber au quarantième jour du déluge sans que cela m’affecte davantage.
Du haut de mon expérience antédiluvienne, je savais que pleuvoir était un sommet de jouissance. Certaines personnes avaient remarqué qu’il était bon de m’accepter, de se laisser inonder par moi sans chercher à me résister. Mais le mieux, c’était carrément d’être moi, d’être la pluie : il n’y avait pas plus grande volupté que de se déverser, crachin ou averse, de fouetter les visages et les paysages, de nourrir les sources ou déborder les fleuves, de gâcher les mariages et fêter les enterrements, de s’abattre à profusion, don ou malédiction du ciel.
Mon enfance pluvieuse s’épanouissait au Japon comme un poisson dans l’eau."

Métaphysique des tubes
- Amélie Nothomb

mercredi 25 juillet 2012

Mercure - Amélie Nothomb

"Le lendemain, elle s'appliqua a n'avoir avec Hazel que des conversations d'une innocence soignée. Elle lui demanda des conseils de lecture.
- Donnez-moi tous les titres que vous pourrez. Je suis en train de découvrir le pouvoir libérateur de la littérature: je ne serais plus capable de m'en passer.
- La littérature a un pouvoir plus que libérateur: elle a un pouvoir salvateur. Elle m'a sauvée: sans les livres, je serais morte depuis longtemps. Elle a sauve aussi Schéherazade dans les Mille et Une Nuits. Et elle vous sauverait, Françoise, si toutefois vous aviez un jour besoin d'être sauvée.
"Si elle savait combien j'en ai besoin!" pensa la prisonnière de la chambre cramoisie."

"- Qu’y a-t-il de plus effroyable qu’un miroir?
Le vieillard regardait et écoutait avec une délectation extrême, comme s’il vivait enfin une scène longtemps attendue.
L’infirmière se radoucit :
- Vous avez si peur d’être belle? Je comprends, même si je le suis moins que vous. La laideur, c’est rassurant : il n’y a aucun défit à relever, il suffit de s’abandonner à sa malchance, de s’en gargariser, c’est si confortable. La beauté, c’est une promesse : il faut la tenir, il faut être à la hauteur. C’est difficile. Il y a quelques semaines, vous disiez que c’était un cadeau sublime. Mais tout le monde n’a pas envie de recevoir une telle faveur, tout le monde n’a pas envie d’être élu, de voir la stupéfaction charmée dans le regard des autres, d’incarner le rêve des humains, de s’affronter dans la glace chaque nouveau matin pour constater les éventuels dégâts du temps. La laideur, elle est étale, promise à durer. Et puis, elle fait de vous une victime, et vous aimez tellement ce martyre…
- Je le hais! protesta la pupille.
- Peut-être auriez-vous préféré n’être ni belle ni laide, semblable à la multitude, invisible, insignifiante, sous prétexte que la liberté consiste à être quelconque. Eh bien, je suis navrée pour vous, vous êtes loin du compte, il faudra vous habituez à cette désolante réalité : vous êtes si belle qu’un amateur éclairé a voulu vous dérober à votre propre regard pour jouir seul du spectacle. Il y a réussi cinq années durant. Hélas, cher Capitaine, les meilleures choses ont une fin. Les pires hantises se réalisent. Il va falloir partager le trésor avec beaucoup d’autres gens, dont le trésor lui-même – charité bien ordonnée…
Hazel, en l’honneur de votre anniversaire, je vous offre à vos yeux.
Françoise empoigna la jeune fille par les épaules et la jeta devant la psyché. La pupille, tel un satellite, entra dans le champ d’attraction du miroir et en devint aussitôt prisonnière : elle venait de rencontrer son image.
Vêtu d’une chemise de nuit blanche et de long cheveux épars, le reflet était d’une fée. Son visage était celui qui revient une ou deux fois par génération et qui obsède le coeur humain jusqu’à l’oubli de sa misère. Découvrir une telle beauté, c’était guérir de tous ses maux pour contracter aussitôt une maladie plus grave encore et que la Mort en personne ne rend pas plus supportable. Celui qui la voyait était sauvé et perdu.
Quant à ce que pouvait ressentir celle qui se découvrait telle, nul ne le saura jamais, à moins d’être elle.
Hazel finit par cacher son visage derrière ses mains en balbutiant :
- J’avais raison : qu’y a-t-il de plus effrayant qu’un miroir?"

Mercure - Amélie Nothomb

mardi 24 juillet 2012

Les Catilinaires - Amélie Nothomb

"Certes, il y aura toujours des gens pour dire que le bien et le mal n'existent pas: ce sont ceux qui n'ont jamais eu affaire au vrai mal. Le bien est beaucoup moins convaincant que le mal: c'est parce que leur structure chimique est différente.
      Comme l'or, le bien ne se rencontre jamais à l'état pur dans la nature: il est donc normal de ne pas le trouver impressionnant. Il a la fâcheuse habitude de ne rien faire; il préfère se donner en spectacle.
      Le mal, lui, s'apparente à un gaz: il n'est pas facile à voir, mais il est repérable à l'odeur. Il est le plus souvent stagnant, réparti en nappe étouffante; on le croit d'abord inoffensif à cause de son aspect - et puis on le voit à l'oeuvre, on se rend compte du terrain qu'il a gagné, du travail qu'il a accompli - et on est terrassé parce que, à ce moment-là, il est déjà trop tard. Le gaz, ça ne s'expulse pas.
       Je lis dans le dictionnaire: "Propriétés des gaz: expansibilité, élasticité, compressibilité, pesanteur." On jurerait une description du mal."

Les Catilinaires - Amélie Nothomb

lundi 23 juillet 2012

Le sabotage amoureux - Amélie Nothomb

"Subjuguée, je repartis.
Etat second. Je courais. Une voix soliloquait dans ma tête: « Tu veux que je me sabote pour toi? C’est merveilleux. C’est digne de toi et digne de moi. Tu verras jusqu’où j’irai. »
Saboter est un verbe qui trouvait du répondant en moi. Je n’avais aucune notion d’étymologie mais dans « saboter », j’entendais sabot, et les sabots, c’étaient les pieds de mon cheval, c’étaient donc mes pieds véritables. Elena voulait que je me sabote pour elle : c’était vouloir que j’écrase mon être sous ce galop. Et je courais en pensant que le sol était mon corps et que je le piétinais pour obéir à la belle et que je la piétinerais jusqu’à l’agonie. Je souriais à cette perspective magnifique et accélérais mon sabotage en passant à la vitesse supérieure.
Ma résistance m’étonnait. Le vélo intensif - l’équitation - m’avait donné un sacré souffle en dépit de l’asthme. Il n’empêchait que je sentais la crise monter. L’air arrivait de moins en moins, la douleur devenait inhumaine.
La petite italienne n’avait pas un regard pour ma course, mais rien, rien en ce monde n’eût pu m’arrêter.
Elle avait pensé à cette épreuve parce qu’elle me savait asthmatique; elle ignorait à quel point son choix était judicieux. L’asthme? Détail, simple défaut technique de ma carcasse. En vérité, ce qui comptait, c’était qu’elle me demandait de courir. Et la vitesse, c’était la vertu que j’honorais, c’était le blason de mon cheval- la pure vitesse, dont le but n’est pas de gagner du temps, mais d ‘échapper au temps et à toutes les glus que charrie la durée, au bourbier des pensées sans liesse, des corps tristes, des vies obèses et des ruminations poussives.
Toi, Elena, tu étais la belle, la lente-peut-être parce que toi seul pouvais te le permettre. Toi qui marchais toujours au ralenti, comme pour nous laisser t’admirer plus longtemps, tu m’avais, sans doute à ton insu, ordonné d’être moi, c’est-à-dire de n’être rien d’autre que ma vitesse, hébétée, bolide ivre de sa course.
Au quatre-vingt-huitième tour, la lumière se mit à décliner. Les visages des enfants noircirent. Le dernier des ventilateurs géant cessa de fonctionner. Mes poumons explosèrent de souffrance.
Syncope.»

Le sabotage amoureux - Amélie Nothomb

samedi 21 juillet 2012

Izmir büyücüleri - Mara Meimaridi

"Kocanin, pasalarinki kadar çok parasi olsun demedim. Her kadin kendi için birseyler yapmali. Geliri olmali. Kocasindan gizli bir birikimi olmali. Yoksa, karsindakine yapisik bir parazit gibi yasarsin; her seyini karsilayan, seninde rahatini sagladigin birinin üzerinde parazit olursun. Iste hem ona boyun egersin hem dayak yersin hem de bunlar yetmezmis gibi boynuzlanir, üstüne de tesekkür etmek zorunda kalirsin."

"Ailenin tek kurtulusu Selanik'ten göç etmek olmustu. Oradan ayrilip önce Taso Adasi'na geçmislerdi, sonra da Bodrum'a... Daha sonra da Izmir'e gelip buraya yerlesmislerdi. Gittikleri her yerde ayni seyler olmustu.
Yahudilerin, Ermenilerin, Türklerin, Fransizlarin, Hollandalilarin, Cenevizlilerin, Avrupali Frenk Levantenlerin, Katolik Ermenilerin yasadigi Izmir, onu da kabul etmisti."

"Basini biraz da pudraya ovduktan sonra, kadini sorgulamaya baslamislardi. Nereden geliyorsunuz, kaç tane çocugunuz var, kocaniz ne isle mesguller, evi satin mi aldiniz yoksa kiraci misiniz? Tipki köpeklerin, ilk karsilastiklarinda birbirlerini tanimak için koklasmalari gibi onlar da onu koklamislardi."

"Onu gösteris ve lüks ilgilendirmiyordu. Safirli mücevherlerin yerine bir tepsi baklavayi tercih ederdi. Cok da iyi bir ev hanimiydi. Yeni evi temizlikten isil isil parliyordu. Diger hanimlardan çok daha beyaz tenli olabilirdi ama, sonuçta o da bir Izmirliydi. Izmir, tütünü, zeytinyagi, inciri ve becerikli ev hanimlariyla meshurdu."

"Efharisto Vlasto Bey, bilgili ve tecrübeli olabilirdi ama ona ekmegini kazandirabilecek bir diplomasi, meslegi yoktu. Ne doktor, ne avukat, ne mühendis ne de Yunanca ögretmeniydi. Etnoloji okumustu. Ne ise yarayacaksa? Ama paralarinin oldugu zamanda iyi yapmisti etnoloji okumakla. Bu tür bilim dallarini da birilerinin okumasi gerekir. Ancak sadece zenginler okuyabilir bunlari. Sadece, yedikleri önlerinde yemedikleri arkalarinda olan zenginler felsefe, tarih ya da ilahiyat okuyabilirler. Bütün bir gün yari uzanir bir sekilde oturup konusurlar filozoflar. Bir sürü gerekli gereksiz konusmalarin arasinda da arada bir bazi bilgelikler çikar ve böylece bilimde ilerleme olur."

"Gün bitmek üzereyken, o hâlâ kitabi okumaya devam ediyordu. Ögle yemeklerini yedikleri masada, sag elinde açik olan kitapla oturmus ve ekmegini okuyarak yemisti. O anda, ne Siryo ne Konstantino vardi onun için. Sadece bu hikâyeyi anlatan Zola Bey vardi. Ne kadarda güzel anlatiyordu. Paris'e hiç gitmemis olmasina ragmen, Katina kendini orada hissediyordu. Kitaptaki kizin basina gelenlerden etkileniyor, bazen sinirleniyor bazen de gülüyordu. Kitaplar ne kadar da gûzeldi!"

"Bütün insanlar ayni. Eger komik birsey söylersen gülerler, onlari korkutursan korkarlar, eger vurursan canlari acir. Hangi tanriya inanirlarsa inansinlar, dünyanin neresinde ve hangi renkte olurlarsa olsunlar sonuçta vücut ve ruh aynidir. Attarti Ana onlarin ruhlarina inaniyor."

Izmir büyücüleri - Mara Meimaridi

vendredi 20 juillet 2012

Nouvelle encyclopédie du savoir relatif et absolu - Bernard Werber

Quelques légendes sur les origines de l'humanité

"TURQUE. Pour les Turcs, l'humanité est née sur la Montagne Noire. Dans une caverne, une fosse de forme humaine s'est creusée et la pluie en ruisselant a entraîné l'argile qui s'est déposée dans ce moule. L'argile demeure là pendant neuf mois, chauffée par le soleil. Et au bout de neuf mois sort de la caverne le premier homme: Ay-Atam, qu'on appelle le père Lune."

Nouvelle encyclopédie du savoir relatif et absolu - Bernard Werber

vendredi 13 juillet 2012

Never Let Me Go - Kazuo Ishiguro

"'The song,' I said, 'it was called "Never Let Me Go".' Then I sang a couple of lines quietly under my breath for her.
'Never let me go. Oh, baby, baby. Never let me go...'
     She nodded as though in agreement. 'Yes, it was that song. I've heard it once or twice since then. On the radio, on the televison. And it's taken me back to that little girl, dancing by herself.'
     'You say you're not a mind-reader,' I said. 'But maybe you were that day. Maybe that's why you started to cry when you saw me. Because whatever the song was really about, in my head, when I was dancing, I had my own version. You see, I imagined it was about this woman who'd been told she couldn't have babies. But then she'd had one, and she was so pleased, and she was holding it ever so tightly to her breast, really afraid something might separate them, and she's going baby, baby, never let me go. That's not what the song's about at all, but that's what I had in my head that time. Maybe you read my mind, and that's why you found it so sad. I didn't think it was so sad at the time, but now, when I think back, it does feel a bit sad.'
     I'd spoken to Madame, but I could sense Tommy shifting next to me, and was aware of the texture of his clothes, of everything about him. Then Madame said:
     'That's most interesting. But I was no more a mind-reader then than today. I was weeping for an altogether different reason. When I watched you dancing that day, I saw something else. I saw a new world coming rapidly. More scientific, efficient, yes. More cures for the old sickness. Very good. But a harsh, cruel world. And I saw a little girl, her eyes tightly closed, holding to her breast  the old kind world, one that she knew in her heart could not remain, and she was holding it and pleading, never to let go. That is what I saw. It wasn't really you, what you were doing, I know that. But I saw you and it broke my heart. And I've never forgotten.'
     Then she came forward until she was only a step or two from us. 'Your stories this evening, they touched me too.' She looked now to Tommy, then back at me. 'Poor creatures. I wish I could help you. But now you're by yourselves.'"

Never Let Me Go - Kazuo Ishiguro

mercredi 11 juillet 2012

Je suis ta nuit - Loïc Le Borgne

     "Tu veux mon avis? La solution est souvent dans le mélange. Maël était mon meilleur ami et il était fou, comme bon nombre de gosses l'auraient été après ce qu'il avait subi. Je sais aussi que les êtres de légende, comme l'Ankou et toutes ces créatures qui viennent vous prendre par la main ou par la peau des fesses quand le soleil a disparu, ont plein de tours dans leurs sac. Ils savent profiter, par exemple, d'un enfant dont le cerveau a été chauffé à blanc. Dans nos villes comme dans nos âmes, il reste bien des zones de ténèbres. Ce ne doit pas être bien compliqué, pour les créatures de la nuit, d'y subsister. 
     Je sais autre chose: le Bonhomme Nuit n'est pas une simple créature maléfique en chasse. Ce n'est pas un vampire sortant la nuit de son caveau pour y revenir au petit matin ou un Golgoth fondant sur la terre lorsque rousse est la lune. Le Bonhomme Nuit est tapi au coeur du monde. Il guette, il attend. Il est notre vide, notre néant, nos temples qui sont tombés et les tours qui tomberont encore. Alors je veille. Selon la génération à laquelle nous appartenons, nous avons rêvé de sabres laser, de robots casse-cou ou d'apprentis magiciens, et nous devons être fidèle à nos rêves, à nous-mêmes.
Le temps balaie bien des choses, Tristan, mais au fond de mon coeur, je suis toujours un Jedi. Toi, que seras-tu?"

Je suis ta nuit - Loïc Le Borgne

mardi 10 juillet 2012

Med-cezir - Elif Şafak

"Yurtdışında bulunmak, hele hele yaşamaya kalkmak demek, tek kişilik ordu misali yek vücudda milyonları barındırmaya zorlanmak demek. Yurtdışına çıkan her ferd, “ayaklı ulus” halinde dolaşma ihtimaliyle yüzleşmek durumunda. Mesele özünde bir “temsil” meselesi. Aslolan kişiliğiniz yahut bireyselliğiniz değil, hangi kolektiviteye ait olduğunuz, yani temsil etmekle yükümlü tutulduğunuz milliyet. Aslolan illâ ki “aidiyet”."

"Yazmak Tanrılaşmaktır. Tanrı kadar yalnızlaşmaktır. Kitap yalnızlık ister. Yazarından da okurundan da."

Med-cezir - Elif Şafak

Biographie de la faim - Amélie Nothomb

     "Ce fut pour moi une scandaleuse découverte intellectuelle: une langue incompréhensible.
Il y avait donc un genre de langage qui m'était fermé. Au lieu de penser que j'apprendrais facilement ce nouveau territoire du verbe, je le condamnai pour crime de lèse-divinité: de quel droit ces mots me résistaient-ils? Jamais je ne m'abaisserais à demander leur clef. C'était à eux de se hisser jusqu'à moi, d'obtenir l'honneur insigne de traverser la muraille de ma tête et la barrière de mes dents.
     Moi, je ne parlais qu'une langue: le franponais. Ceux qui y voyaient deux langues distinctes péchaient par superficialité, ils s'arrêtaient à des détails tels que le vocabulaire ou la syntaxe. Ces broutilles n'auraient pas dû leur cacher non seulement des points communs objectifs comme la latinité des consonances ou la précision de la grammaire mais surtout de cette parenté métaphysique qui les unissait par le haut: le délectable.
     Comment ne pas avoir faim du franponais? Ces mots aux syllabes bien détachées les unes des autres, aux sonorités nettes, c'étaient des sushis, des bouchées pralinées, des tablettes de chocolat dont chaque carré verbal se découpait facilement, c'étaient des gâteaux pour le thé de cérémonie, dont les emballages individuels permettaient le bonheur du déshabillage et la différenciation des saveurs.
Je n'avais pas faim de l'anglais, cette langue trop cuite, purée de chuintements, chewing-gum mâché qu'on se passait de bouche en bouche. L'anglo-américain ignorait le cru, le saisi, le frit, le cuit à la vapeur: il ne connaissait que le bouilli. On y articulait à peine, comme lors de ces repas des gens exténués qui engloutissent sans prononcer une parole. C'était du brouet pas civilisé.
    Mon frère et ma soeur adoraient l'école américaine et j'avais des raisons de penser que j'y eusse été autrement libre et tranquille. Cependant, je préférais encore continuer mon service militaire dans la langue délectable plutôt que d'aller jouer dans la langue bouillie."

Biographie de la faim - Amélie Nothomb

lundi 9 juillet 2012

Le Nihilisme européen - Friedrich Nietzsche

"Au fond, la musique de Wagner est, elle aussi, de la littérature, tout aussi bien que tout le romantisme français : le charme de l'exotisme (langues étrangères, mœurs, passions) exercé sur des badauds sensibles. Le ravissement en mettant le pied dans un pays immense et lointain, étranger et préhistorique, dont les livres ouvrent l'accès ce qui colore l'horizon tout entier de couleurs nouvelles, de nouvelles possibilités. Le pressentiment de mondes encore lointains et inexplorés; le dédain à l'égard des boulevards... Car le nationalisme, il ne faut pas s'y tromper, n'est aussi qu'une forme de l'exotisme. — Les musiciens romantiques racontent ce que les livres romantiques ont fait d'eux : on aimerait bien vivre des choses exotiques, des passions dans le goût florentin et vénitien : en fin de compte, on se satisfait de les chercher en images... L'essentiel c'est une façon de nouvel appétit, un besoin d'imitation, de recréation, de masque, de travestissement de l'âme... L'art romantique n'est que le palliatif d'une « réalité » manquée...

La tentative de faire du nouveau : la Révolution, Napoléon. — Napoléon, la passion de nouvelles possibilités de l'âme, l'élargissement de l'âme dans l'espace...

Épuisement de la volonté; débauche d'autant plus grande, dans le désir de trouver des sensations nouvelles, de les recréer, de les rêver... Conséquence des choses excessives que l'on a vécues : soif ardente des sentiments excessifs... les littératures étrangères offraient les épices les plus fortes..."
Le Nihilisme européen - Friedrich Nietzsche

samedi 7 juillet 2012

Du néant de la vie - Arthur Shopenhauer

"Il faut envisager la vie comme une sévère leçon qui nous est infligée, bien que, avec nos formes de pensée dirigées vers de tout autres buts, nous ne puissions comprendre comment nous avons pu avoir besoin de cette leçon. Nous devons donc songer avec satisfaction à nos amis défunts, en considérant qu'ils en ont fini avec elle, et en souhaitant de tout coeur qu'elle leur ait profité. Et du même point de vue nous devons envisager notre propre mort comme un évènement désirable et heureux, et non en tremblant d'effroi, ainsi que c'est ordinairement le cas.
Une vie heureuse est impossible; le plus haut point que l'homme puisse atteindre, c'est une carrière héroïque. Elle est le partage de celui qui, en n'importe quel ordre de choses, lutte avec les plus grandes difficultés pour le bien de tous et finit par triompher, mal ou nullement récompensé des ses efforts. Ensuite, quand tout est terminé, il reste là debout, pétrifié, comme le prince dans le Roi Corbeau de Gozzi, mais dans une noble attitude et avec un air magnanime. Sa mémoire demeure, et elle est célébrée comme celle d'un héros; sa volonté mortifiée durant toute une vie par la peine et le travail, par l'insuccès et l'ingratitude du monde, s'éteint dans le nirvana.(Carlyle a écrit dans ce sens son Culte des héros.)"
Du néant de la vie - Arthur Shopenhauer

vendredi 6 juillet 2012

La vie heureuse - Senèque

"Tu vois à quelle triste et cruelle servitude sera asservi celui que posséderont tour à tour les plaisirs et les douleurs, ces maîtres les plus capricieux et les plus tyranniques de tous. Il faut donc se retirer vers la liberté; et rien d'autre ne la donne que l'indifférence envers la fortune. Alors naîtra cet inestimable bien, le calme et l'élévation de l'âme placée dans un asile sûr. Tout terreur étant bannie, de la connaissance du vrai naîtra une grande et immuable joie; puis viendront les douceurs et les épanchements de l'âme, laquelle y trouvera des charmes, non comme à des biens, mais comme à des fruits des son propre bien. Puisque j'ai commencé à me donner une grande latitude, je puis encore dire: heureux celui qui, grâce à la raison, ne désire, ne craint rien. Bien que les pierres soient insensibles à la crainte et à la tristesse, et qu'il en soit de même des bêtes, il n'y a cependant personne qui les appelle heureuses, parce qu'elles n'ont pas l'intelligence du bonheur. Il faut mettre sur la même ligne les hommes qu'une nature abrutie et l'ignorance de soi-même ont réduits au rang des bêtes et des animaux. Il n'y a aucune différence entre les premiers et les derniers; car chez ceux-ci la raison est nulle, chez ceux-là elle est dépravée, ingénieuse seulement à leur nuire et à les pervertir. On ne peut appeler heureux l'homme qui est jeté hors de la vérité. La vie heureuse est donc celle qui a pour base immuable un jugement droit et sûr."
La vie heureuse - Senèque

mercredi 4 juillet 2012

Dans l'ombre du mystère - Nora Roberts

"La main de Stella reposait sur la table, à quelques centimètres de la sienne. Il eut envie de s'en emparer, et cela le tracassa.
-Je connais beaucoup de gens. Mais je n'ai pas d'amis véritables. Cette situation n'est pas rare, vous savez.
-Oui, je sais. Mais... cela vous tente-t-il?
Jack passa sur son visage une main lasse.
-La question ne me préoccupe pas... Il faut que je sois bien fatigué pour philosopher devant un petit déjeuner à 5 heures du matin. Ce ne m'est plus arrivé depuis l'université.
-Qu'avez-vous étudié, au juste?
-Tout ce qui m'attirait.
Un sourire ravi au lèvres, Stella posa ses deux coudes sur la table.
-Pareil pour moi! Je rendais mes professeurs fous. Ils me reprochaient sans arrêt mon manque de suite dans les idées!
-N'empêche que vous savez tenir un revolver, envoyer un homme costaud au tapis, et connaissez les dieux de la Rome antique. En plus, je parie que vous servez une excellente bière.
-La meilleure de Washington!
Stella observa un silence, avant de reprendre:
-En fait, nous voilà tous les deux dans le même panier: deux personnes bien plus cultivées que ne l'exige leur profession, en train de siroter un café à une heure indue du 4 juillet, pourchassées par deux tueurs en camionnette. Sans parler du diamant dans votre poche, ni du macchabée raide dans son bureau. Que faisons-nous maintenant?
Prenant une poignée de billets de sa poche, Jack les jeta sur la table.
-On va se coucher."
Dans l'ombre du mystère - Nora Roberts

mardi 3 juillet 2012

Un bon jour pour mourir - Jim Harrison

"Nous eûmes une discussion violente: Tim voulait faire sauter la dynamite. Sylvia l'observa depuis l'entrée de la cabane, l'air ahuri et je finis par céder, par pure curiosité. Après tout, cela pourrait être un galop d'essai et je n'avasi jamais vu deux caisses de dynamite exploser. Tim renvoya Sylvia à la voiture, pour le cas où les choses tourneraient mal. Je surveillai les environs, tandis qu'il bricolait avec ses tenailles, les capsules et un petit rouleau de mèche. Quand il en eut terminé nous descendîmes de la colline pour rejoindre Sylvia, qui attendait à une centaine de mètres en contrebas. Tim courut à la voiture et sortit une grosse batterie du coffre. Sylvia grimaçait et je passai mon bras autour de sa taille. Elle était éblouissante dans la lumière jaune du soir qui jouait sur son visage, dans ses cheveux et sur ses jambes. 
   L'orage commençait à éclater et des grosses gouttes sporadiques de pluie soulevaient de petits cônes de poussière. Tim abouta un autre rouleau de mèche et nous déplaçâmes la voiture à une centaine de mètres plus bas, tandis qu'il déroulait le fil en nous suivant à pied. Sylvia était tout excitée et se retourna dans son siège pour regarder Tim à travers la vitre arrière. Son slip aujourd'hui était en voile noir, arachnéen, et j'oubliai un court instant ce que nous étions en train de faire. Je lui caressai la jambe, mais elle me donna une tape sur la main pour l'écarter, tout en gardant le sourire. Je mis la voiture en position. Nous bavardâmes un moment en fixant la route nerveusement, chacun de notre côté. Puis je passai sur la banquette arrière.
   Quand cela arriva, je sus que je m'en souviendrais clairement jusqu'au jour de ma mort. Tim se tenait là devant nous, berçant la batterie dans ses bras et tenant la mèche d'une main. Il nous souriait. Il avait l'air d'un illuminé ou alors de l' homme le plus heureux de la terre. La main qui tenait la mèche bougea et établit le contact juste au moment où un vieux camion tout déglingué arrivait du haut de la colline, dans notre direction. Pour une raison que j'ignore, je suivis des yeux le camion qui se rapprochait au lieu de regarder l'explosion derrière les rochers. Il était peut-être à quatre cents mètres de nous lorsque la charge sauta. Tim était dans la voiture lorsque l'onde de choc arriva avec le bruit spectaculaire qui s'ensuivit. Sylvia hurlait. Plus tard, l'impact me parut aussi fort que celui d'un millier de ces pétards qu'on fait sauter le 4-Juillet. Les pneus brûlèrent et fumèrent et nous pûmes voir le visage ahuri de trois Indiens en croisant le camion. Ils s'étaient arrêtés, à cheval sur la ligne jaune et Tim dut donner un coup de volant pour les éviter. Ma peau picotait et j'en avais oublié de respirer. C'était magnifique. Sylvia s'arrêta de crier et se tourna vers moi, les yeux encore tout hébétés. Tim poussa la voiture à plus de 160 kilomètres à l'heure et le vent s'engouffrait bruyamment par les vitres ouvertes."
Un bon jour pour mourir - Jim Harrison