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mardi 7 mai 2013

Novembre - Gustave Flaubert


« J’aime l’automne, cette triste saison va bien aux souvenirs. Quand les arbres n’ont plus de feuilles, quand le ciel conserve encore au crépuscule la teinte rousse qui dore l’herbe fanée, il est doux de regarder s’éteindre tout ce qui naguère brûlait en vous. »

« La puberté du cœur précède celle du corps ; or j’avais plus besoin d’aimer que de jouir, plus envie de l’amour que de la volupté. »

« Il y a un âge, vous le rappelez-vous, lecteurs ? où l’on sourit vaguement, comme s’il y avait des baisers dans l’air ; on a le cœur tout gonflé d’une brise odorante, le sang bat chaudement dans les veines, il y pétille, comme le vin bouillonnant dans la coupe de cristal. Vous vous réveillez plus heureux et plus riche que la veille, plus palpitant, plus ému ; de doux fluides montent et descendent en vous et vous parcourent divinement de leur chaleur enivrante ; les arbres tordent leurs tête sous le vent en de molles courbures, les feuilles frémissent les unes sur les autres, comme si elles se parlaient ; les nuages glissent et ouvrent le ciel où la lune sourit et se mire d’en haut sur la rivière. Quand vous marchez, le soir, respirant l’odeur des foins coupés, écoutant le coucou dans les bois, regardant les étoiles qui filent, votre cœur, n’est-ce pas, votre cœur est plus pur, plus pénétré d’air, de lumière et d’azur que l’horizon paisible, où la terre touche le ciel dans un calme baiser. Oh ! comme les cheveux des femmes embaument ! Comme la peau de leurs mains est douce ! Comme leurs regards nous pénètrent ! »

«Ces passions que j’aurais voulu avoir, je les étudiais dans les livres. La vie humaine roulait, pour moi, sur deux ou trois idées, sur deux ou trois mots, autour desquels tout le reste tournait comme des satellites autour de leur astre. J’avais ainsi peuplé mon infini d’une quantité de soleils d’or ; les contes d’amour se plaçaient dans ma tête à côté des belles révolutions, les belles passions fac à face des grands crimes ; je songeais à la fois aux nuits étoilées des pays chauds et à l’embrasement des villes incendiées, aux lianes des forêts vierges et à la pompe des monarchies perdues, aux tombeaux et aux berceaux ; murmure du flot dont les joncs, roucoulement des tourterelles sur les colombiers, bois de myrte et senteur d’aloès, cliquetis des épées contre les cuirasses, chevaux qui piaffent, or qui reluit, étincellement de la vie, agonies des désespérés, je contemplais tout du même regard béat, comme une fourmilière qui se fût agitée à mes pieds. »

« car il y a des jours où l’on est si triste que l’on voudrait se faire plus triste encore ; on s’enfonce à plaisir dans le désespoir comme dans une route facile, on a le cœur tout gonflé de larmes et l’on s’excite à pleurer. J’ai souvent souhaité d’être misérable et de porter des haillons, d’être tourmenté de la faim, de sentir le sang couler d’une blessure, d’avoir une haine et de chercher à me venger. »

« mais le bonheur aussi ne serait-il pas une métaphore inventée un jour d’ennui ? »

« mais le cœur de l’homme est inépuisable pour la tristesse : un ou deux bonheurs le remplissent ; toutes les misères de l’humanité peuvent s’y donner rendez-vous et y vivre comme des hôtes. »

« J’étais, dans la variété de mon être, comme une immense forêt de l'Inde, où la vie palpite dans chaque atome et apparaît, monstrueuse ou adorable, sous chaque rayon de soleil; l'azur est empli de parfums et de poisons, les tigres bondissent, les éléphants marchent fièrement comme des pagodes vivantes, les dieux, mystérieux et difformes, sont cachés dans le creux des cavernes parmi de grands monceaux d'or; et au milieu coule le large fleuve, avec des crocodiles béants qui font claquer leurs écailles dans le lotus du rivage, et ses îles de fleurs que le courant entraine avec des troncs d'arbre et des cadavres verdis par la peste.
J’aimais pourtant la vie expansive, radieuse, rayonnante ; je l’aimais dans le galop furieux des coursiers, dans le scintillement des étoiles, dans le mouvement des vagues qui courent vers le rivage ; je l’aimais dans le battement des belles poitrines nues, dans le tremblement des regards amoureux, dans la vibration des cordes du violon, dans le frémissement des chênes, dans le soleil couchant, qui dore les vitres et fait penser aux balcons de Babylone où les reines se tenaient accoudées et regardant l’Asie. »

« Quelquefois, pour secouer ce manteau de plomb qui me pesait sur les épaules, m’étourdir de sciences et d’idées, je voulais travailler, lire ; j’ouvrais un livre, et puis deux, et puis dix, et, sans avoir lu deux lignes d’un seul, je les rejetais avec dégoût et je me remettais à dormir dans le même ennui. »

« Je suis né avec le désir de mourir. »

« j’étais jaloux de leurs regrets, parc qu’ils cachaient des bonheurs que je n’avais pas eus. »

« L’odeur des vagues montait jusqu’à moi, avec la senteur du varech et des plantes marines ; quelquefois elles paraissaient s’arrêter ou venaient mourir sans bruit sur le rivage festonné d’écume, comme une lèvre dont le baiser ne sonne point. »

« Comment faire ? qui aimer ? qui vous aimera ? quelle sera la grande dame qui voudra de vous ? la beauté surhumaine qui vous tendra les bras ? Qui dira toutes les promenades tristes que l’on fait seul au bord des ruisseaux, tous les soupirs des cœurs gonflés partis vers les étoiles, pendant les chaudes nuits où la poitrine étouffe. »

« les plis de vos robes ont des bruits qui nous remuent jusqu’au fond de nous, et il émane de la surface de tout votre corps quelque chose qui nous tue et nous enchante. »,

« C’est surtout aux approches du printemps, quand les lilas commencent à fleurir et les oiseaux à chanter sous les premières feuilles, que je me sentais le cœur pris du besoin d’aimer, de se fondre tout entier dans l’amour, de s’absorber dans quelque doux et grand sentiment, et comme de se recréer même dans la lumière et les parfums. »
«Elle avait une robe blanche, à manches courtes, elle se tenait le coude appuyé sur le rebord de la fenêtre, une main près de la bouche, et semblait regarder par terre quelque chose de vague et d’indécis ; ses cheveux noirs, lissés et nattés sur les tempes, reluisaient comme l’aile d’un corbeau, sa tête était un peu penchée, quelques petits cheveux de derrière s’échappaient des autres et frisottaient sur son cou, son grand peigne d’or recourbé était couronné de grains de corail rouge.
Elle jeta un cri quand elle m’aperçut et se leva par un bond. Je me sentis d’abord frappé du regard brillant de ses deux grands yeux ; quand je pus relever mon front, affaissé sous le poids de ce regard, je vis une figure d’une adorable beauté : une même ligne droite partait du sommet de sa tête dans la raie de ses cheveux, passait entre ses grands sourcils arqués, sur son nez aquilin, aux narines palpitantes et relevées comme celles des camées antiques, fendait par le milieu sa lèvre chaude, ombragée d'un duvet bleu, et puis là, le cou, le cou gras, blanc, rond ; à travers son vêtement mince, je voyais la forme de ses seins aller et venir au mouvement de sa respiration, elle se tenait ainsi debout, en face de moi, entourée de la lumière du soleil qui passait à travers le rideau jaune et faisait ressortir davantage ce vêtement blanc et cette tête brune.
A la fin elle se mit à sourire, presque de pitié et de douceur, et je m'approchai. Je ne sais ce qu'elle s'était mis aux cheveux, mais elle embaumait, et je me sentis le coeur plus mou et plus faible qu'une pêche qui se fond sous la langue. Elle me dit :
- Qu'avez-vous donc ? venez !”
“C'est une des plus belles choses des amants que les cheveux donnés et échangés.”
“Ou bien je rêvais ; à dix ans déjà, j'avais des nuits fiévreuses, des nuits pleines de luxure. N'était-ce pas la luxure qui brillait dans mes yeux, coulait dans mon sang, et me faisait bondir le coeur au frôlement de mes membres entre eux ? elle chantait éternellement dans mon oreille des cantiques de volupté ; dans mes visions, les chairs brillaient comme de l'or, des formes inconnues remuaient, comme du vif-argent répandu.
A l'église je regardais l'homme nu étalé sur la croix, et je redressais la tête, je remplissais ses flancs, je colorais tous ses membres, je levais ses paupières ; je me faisais devant moi une homme beau, avec un regard de feu ; je le détachais de la croix et je le faisais descendre vers moi, sur l'autel, l'encens l'entourait, il s'avançait dans la fumée et de sensuels frémissements me couraient sur la peau.
Quand un homme me parlait, j'examinais son oeil et le jet qui en sort, j'aimais surtout ceux dont les paupières remuent toujours, qui cachent leurs prunelles et qui les montrent, mouvement semblable au battement d'ailes d'un papillon de nuit ; à travers leurs vêtements, je tâchais de surprendre le secret de leur sexe, et là-dessus j'interrogeais mes jeunes amies, j'épiais les baisers de mon père et de ma mère, et la nuit le bruit de leur couche.”
“A peine fut-il sorti que je me levai, j'allai à la fenêtre, je l'ouvris et je laissai l'air me refroidir la peau ; j'aurais voulu que l'Océan pût me laver de lui, je refis mon lit, effaçant avec soin toutes les places où ce cadavre m'avait fatiguée de ses convulsion. Toute la nuit se passa à pleurer ; désespérée, je rugissais comme un tigre qu'on a châtré. Ah ! si tu étais venu alors ! si nous nous étions connu dans ce temps-là ! tu avais été du même âge que moi, c'est alors que nous nous serions aimés, quand j'avais seize ans, que mon coeur était neuf ! toute notre vie se fût passée à cela, mes bras se seraient usés à t'étreindre sur moi, mes yeux à plonger dans les tiens.”
“A cette époque, je lisais beaucoup ; il y a deux livres que j'ai relu cent fois : Paul et Virginie et un autre qui s'appelait Les Crimes des Reines. On voyait les portraits de Messaline, de Théodora, de Marguerite de Bourgogne, de Marie Stuart et de Catherine II. « Etre reine, me disais-je, et rendre la foule amoureuse de toi ! » Eh bien, j'ai été reine, reine comme on peut l'être maintenant ; en entrant dans ma loge je promenais sur le public un regard triomphant et provocateur, mille têtes suivaient le mouvement de mes sourcils, je dominais tout par l'insolence de ma beauté.”
“Où irai-je ? la terre est grande, j'épuiserai tous les chemins, je viderai tous les horizons ; puissé-je périr en doublant Le Cap, mourir du choléra à Calcutta ou de la peste à Constantinople !”
“Quant à séduire une jeune fille, il se serait cru moins coupable s'il l'avait violée, attacher quelqu'un à soi était pour lui pire que de l'assassiner. Il pensait sérieusement qu'il y a moins de mal à tuer un homme qu'à faire un enfant ; au premier vous ôtez la vie, non pas la vie entière, mais la moitié ou le quart ou la centième partie de cette existence qui va finir, qui finirait sans vous ; mais envers le second, disait-il, n'êtes-vous pas responsable de toutes les larmes qu'il versera depuis son berceau jusqu'à sa tombe ? sans vous, il ne serait pas né, et s'il naît, pourquoi cela ? pour votre amusement, non pour le sien, à coup sûr ; pour porter votre nom, le nom d'un sot, je parie ? autant vaudrait l'écrire sur un mur ; à quoi bon un homme pour supporter le fardeau de trois ou quatre lettres ?”
“Comme il n'avait d'énergie pour rien et que le temps, contrairement à l'avis des philosophes, lui semblait la richesse la moins prêteuse du monde, il se mit à boire de l'eau-de-vie et à fumer de l'opium ; il passait souvent ses journées tout couché et à moitié ivre, dans un état qui tenait le milieu entre l'apathie et le cauchemar.”
“Il eut peur, il rentra, toute la nuit il entendit le vent siffler dans la terreur ; il fit un énorme feu et se chauffa de façon à se rôtir les jambes.”
“Enfin, au mois de décembre dernier, il mourut, mais lentement, petit à petit, par le seule force de la pensée, sans qu'aucun organe fût malade, comme on meurt de tristesse, ce qui paraîtra difficile aux gens qui ont beaucoup souffert, mais ce qu'il faut bien tolérer dans un roman, par amour du merveilleux.”

Novembre – Gustave Flaubert