« C’était ça l’université :
croire que l’on allait s’ouvrir sur l’univers et ne rencontrer personne. »
« Je rêvais d’être intégrée, ne
fût-ce que pour m’offrir le luxe de me désintégrer ensuite. »
« Je ne savais pas si j’étais son
amie. A quel critère forcément mystérieux reconnaît-on que l’on est l’amie de
quelqu’un ? »
« Elle passa un temps fou à prendre
congé de ses nombreuses relations. »
« J’avais seize ans. Je ne possédais
rien, ni biens matériels ni confort spirituel. Je n’avais pas d’ami, pas d’amour,
je n’avais rien vécu. Je n ‘avais pas d’idée, je n’étais pas sûre d’avoir une
âme. Mon corps, c’était tout ce que j’avais. »
« Quand on parle de quelqu’un à la
troisième personne, c’est qu’il n’est pas là. En effet, je n’étais pas
là. »
« Malgré mon désir, je n’avais
jamais vécu les amitiés grandioses des fillettes de dix ans ; au lycée, je
n’avais jamais retenu l’attention passionnée d’un professeur. Je n’avais jamais
vu s’allumer pour moi, dans l’œil d’autrui, la flamme qui seule console de
vivre. »
« Et je me rappelai le psaume :
‘Bénis soient ceux qui inspirent l’amour.’ »
« Jusqu’à ma rencontre avec Christa,
l’un des bonheurs de ma vie d’adolescente avait consisté à lire : je me
couchais sur mon lit avec un livre et je devenais le texte. Si le roman était
de qualité, il me transformait en lui. S’il était médiocre, je n’en
passais pas moins des heures merveilleuses, à me délecter de ce qui ne me
plaisait pas en lui, à sourire des occasions manquées.
La lecture n’est pas un plaisir de
substitution. Vue de l’extérieur, mon existence était squelettique ; vue
de l’intérieur, elle inspirait ce qu’inspirent les appartements dont l’unique
mobilier est une bibliothèque somptueusement remplie : la jalousie
admirative pour qui ne s’embarrasse pas du superflu et regorge du nécessaire.
Personne ne me connaissait de
l’intérieur : personne ne savais que je n’étais pas à plaindre, sauf moi –
et cela me suffisait. Je profitai de mon invisibilité pour lire des jours
entiers sans que personne s’en aperçût.
Il n’y avait guère que mes parents pour
remarquer ce comportement. Je subissais leurs sarcasmes : ma biologiste de
mère s’offusquait que je laisse mon physique en friche ; mon père
l’appuyait à grand renfort de citations latines ou grecques, mens sana in
corpore sano, etc., me parlait de Sparte et s’imaginait sans doute qu’il
existait des gymnases où j’eusse pu aller m’entraîner au discobole. Il eût même
préféré avoir pour rejeton un Alcibiade plutôt que cette fille éprise de
littérature, rêveuse et solitaire.
Je n’essayais même pas de me défendre. A
quoi bon tenter de leur expliquer que j’étais invisible ? »
« j’attendais mon heure, je tissais
mes pétales avec du Stendhal et du Radiguet, qui ne me paraissaient pas les
pires ingrédients de cette terre. »
« ce n’était pas une idiote, elle ne
pouvait trouver divertissant de me narrer l’eau de vaisselle qui lui tenait
lieu de récit. J’en étais arrivée à la conclusion que Christa souffrait d’une
jalousie pathologique : quand elle me voyait heureuse avec un livre, il fallait
qu’elle détruise ce bonheur, faute de pouvoir se l’approprier. »
« Et moi, j’étais le déplorable
enfant sage, celui qui n’a pas eu l’habileté de signaler, par ses turbulences,
par ses fugues, par ses impertinences, par ses insultes, qu’il méritait
hautement l’amour de son père et de sa mère. »
« C’était étonnant de se sentir
visitée. Ce tourisme dura longtemps. »
« Je redécouvrai le plus grand luxe
de cette planète : une chambre à soi. Un lieu où l’on jouit d’une paix
royale. Flaubert avait besoin d’un gueuloir ; moi, je ne pouvais vivre
sans un rêvoir – une pièce où il n’y avait rien ni personne, aucun obstacle ou
vagabondage infini de l’esprit, où l’unique décor était la fenêtre – quand une
chambre a une fenêtre, c’est qu’on a sa part de ciel. Pourquoi vouloir autre
chose ? »
« Je donne 14 sur 20 quand on me
restitue le cours par cœur et 18 sur 20 quand on a une opinion
originale. »
« Deux semaines sans elle :
Byzance ! »
« Les êtres sans finesse adorent les
hortensias ! Moi, vois-tu, j’en ai horreur. Je ne supporte que ce qui est
fin, car je suis d’une finesse extrême. C’est un problème : je suis
allergique à ce qui n’est pas fin. Pour les fleurs, je ne supporte que les
orchidées et les désespoirs-du-peintre – où avais-je la tête, tu n’as certainement
jamais entendu parler des désespoirs du peintre… »
« Ceuw qui croient que lire est une
fuite dont à l’opposé de la vérité : lire, c’est être mis en présence du
réel dans son état le plus pénible : ne pouvoir prétendre le mal à
bras-le-corps. On se trompe quand on croit lire au hasard : ce fut à ce
moment là que je commençai à lire Bernanos, l’auteur dont j’avais exactement
besoin. »
« les anniversaires estivaux ne sont
jamais fêtés »
Antéchrista – Amélie Nothomb
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