La délectation rend humble et admiratif envers ce qui l'a rendue possible, le plaisir éveille l'esprit et le pousse tant a la virtuosité qu'a la profondeur. C'est une si puissante magie qu'a défaut de volupté, l'idée de volupté suffit. Du moment qu'existe cette notion, l'être est sauve. Mais la frigidité triomphante se condamne a la célébration de son propre néant.
On rencontre dans les salons des gens qui se vantent haut et fort de s'être prives de tel ou tel délice pendant vingt-cinq ans. On rencontre aussi de superbes idiots qui se glorifient de ne jamais écouter de musique, de ne jamais ouvrir un livre ou de ne jamais aller au cinéma. Il y a aussi ceux qui espèrent susciter l'admiration par leur chasteté absolue. Il faut bien qu'ils en tirent vanité: c'est le seul contentement qu'ils auront dans leur vie."
"L’eau en dessous de moi, l’eau au-dessus de moi, l’eau en moi – l’eau, c’était moi. Ce n’était pas pour rien que mon prénom, en japonais, comportait la pluie. À son image, je me sentais précieuse et dangereuse, inoffensive et mortelle, silencieuse et tumultueuse, haïssable et joyeuse, douce et corrosive, anodine et rare, pure et saisissante, insidieuse et patiente, musicale et cacophonique – mais au-delà de tout, avant d’être quoi que ce fût d’autre, je me sentais invulnérable.
On pouvait se protéger de moi en restant sous un toit ou un parapluie sans que cela me perturbe. À court ou à long terme, rien ne pouvait m’être imperméable. On pouvait toujours me recracher ou se blinder contre moi, je finirais néanmoins par m’infiltrer. Même dans le désert, on ne pouvait être absolument sûr de ne pas me rencontrer – et on pouvait être absolument sûr d’y penser à moi. On pouvait me maudire en me regardant continuer à tomber au quarantième jour du déluge sans que cela m’affecte davantage.
Du haut de mon expérience antédiluvienne, je savais que pleuvoir était un sommet de jouissance. Certaines personnes avaient remarqué qu’il était bon de m’accepter, de se laisser inonder par moi sans chercher à me résister. Mais le mieux, c’était carrément d’être moi, d’être la pluie : il n’y avait pas plus grande volupté que de se déverser, crachin ou averse, de fouetter les visages et les paysages, de nourrir les sources ou déborder les fleuves, de gâcher les mariages et fêter les enterrements, de s’abattre à profusion, don ou malédiction du ciel.
Mon enfance pluvieuse s’épanouissait au Japon comme un poisson dans l’eau."
Métaphysique des tubes - Amélie Nothomb
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire