"Tu vois à quelle triste et cruelle servitude sera asservi celui que posséderont tour à tour les plaisirs et les douleurs, ces maîtres les plus capricieux et les plus tyranniques de tous. Il faut donc se retirer vers la liberté; et rien d'autre ne la donne que l'indifférence envers la fortune. Alors naîtra cet inestimable bien, le calme et l'élévation de l'âme placée dans un asile sûr. Tout terreur étant bannie, de la connaissance du vrai naîtra une grande et immuable joie; puis viendront les douceurs et les épanchements de l'âme, laquelle y trouvera des charmes, non comme à des biens, mais comme à des fruits des son propre bien. Puisque j'ai commencé à me donner une grande latitude, je puis encore dire: heureux celui qui, grâce à la raison, ne désire, ne craint rien. Bien que les pierres soient insensibles à la crainte et à la tristesse, et qu'il en soit de même des bêtes, il n'y a cependant personne qui les appelle heureuses, parce qu'elles n'ont pas l'intelligence du bonheur. Il faut mettre sur la même ligne les hommes qu'une nature abrutie et l'ignorance de soi-même ont réduits au rang des bêtes et des animaux. Il n'y a aucune différence entre les premiers et les derniers; car chez ceux-ci la raison est nulle, chez ceux-là elle est dépravée, ingénieuse seulement à leur nuire et à les pervertir. On ne peut appeler heureux l'homme qui est jeté hors de la vérité. La vie heureuse est donc celle qui a pour base immuable un jugement droit et sûr."
La vie heureuse - Senèque
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