« Tout ira bien à Paris, lui avait dit Rose. »
« L’odeur du pain bien grillé le plongea dans le
plaisir. Il anticipa le crissement de la mie brune sous le couteau, la petite
cascade de miel qu’il laisserait inégale sur la couche de beurre, histoire de
créer la surprise dans le palais, et pour finir le bruit de la tartine craquant
sous la dent. »
« Il ressentit un plaisir secret d’avoir été si poli.
Il détestait donner dans le flou. »
«Une lettre couvrait la pile, deux pages tapées à la machine
sur un modèle ancien, constellées de corrections manuscrites. »
« la recherche d’identité est une activité de chaque
être et de chaque instant. »
« Il avait vécu la mort de sa mère les yeux
secs. »
« Mais le bruit était bien là. Au do, la corde de sol
laissait échapper un petit gémissement. C’était un son étouffé, à peine
perceptible. Le chagrin enfoui d’un enfant qui serait allé chercher sa peine au
fin fond de la maison.
-Tu n’es pas sûr ?
-Si, je crois, En tout cas le bruit est là.
-Tu paniques ?
-Non. Un peu.
-Tu veux que je vienne ?
-Tu peux ?
-Ca fait longtemps que tu ne me l’as pas demandé…
-Je sais. Viens. »
« M. Zoltan, pensionnaire violoniste. Il lui avait
appris à réciter une comptine hongroise bourrée de ö :
Öt Török öt Görögöt
dögönyöz örökös
örömök között. (Cinq Turcs se battent contre cinq Grecs dans
une joie éternelle. »
« J’ai grandi, craintive, passive, à ne pas
m’interroger sur les événements. A ne jamais leur répondre par un élan. Si on
m’avait dit : C’est chouette, sois heureuse, vas-y, je n’aurai pas
su. »
« Ma mère. L’abnégation. Un concentré
d’abnégation. »
« Paule et moi, nous étions des pauvres déguisées en
riches. Ca sautait aux yeux. Belles robes et accessoires branlants. Paule et
son châle hideux, moi des chaussures trop grandes, pas assorties, on aurait dit
Daisy Duck. »
« Un jour que nous sortions de la pièce, la prof de
français dit en souriant, mi-figue, mi-raisin : ‘C’était vraiment très
piano, votre morceau.’ »
« Mon père était mort pour la patrie. On meurt de
ça ? »
« Fin juillet, Laurence se fiance sans crier gare. A
vingt-neuf ans, on n’hésite plus. »
« Posséder une bonne technique, ce n’est pas forcément
un handicap, c’est comme bien connaître une langue. Cela permet de mieux
exprimer des sentiments… »
« Aldo avait accueilli la solitude de l’internat avec
intelligence. Il savait qu’elle seule pouvait l’aider à découvrir son violon
jusque dans son intimité. »
« Aldo avait vingt et un ans. Elle en avait dix de
plus. Il pensa au corps de Rose. Il traverse le temps se dit-il. »
« Rose avait les cheveux gris, un corps de sportive,
une douceur triste dans le regard et dans les gestes. Une belle femme sans
âge. »
« Rose préparait son doctorat en musicologie. Il était
à portée de main. Une vie sereine, au milieu de livres, de musique, d’étudiants
beaux et heureux. Une vie où tout semblait un rêve. Où tout était un rêve. Un
mari comme dans les revues. Attentionné, calme. Chercheur en physique.
Affectueux. Absent au lit, mais quelle importance ? Est-ce qu’on peut tout
avoir dans la vie ? Franchement ? Surtout quand on a une fillette
comme dans ces histoires qu’on ne peut croire tant elles sont belles, une
fillette au regard fort et grave, fixé sur celui de sa mère, qui disait :
‘J’ai tout compris, maman. Je suis là, maman. ‘ Un regard de grande, qui
comprenait tout. Qui rassurait Rose. Rose qui défaillait de plaisir à la laver,
la coiffer, l’habiller, qui pouvait tout lui dire, comme à une grande. »
« -Pardon, dit Aldo, je ne voulais pas être indiscret.
-C’est le destin qui a été indiscret, pas vous. Il s’est
faufilé dans ma vie comme un serpent. Il m’a mordue. »
« Rose était toujours sans âge. Une allure de jeune
fille et des cheveux presque blancs. Une femme blessée à la peau
fraîche. »
« L’échec d’Aldo lui avait donné le seul instant
d’assurance qu’elle pouvait se rappeler. »
« Elle est rassurée. Contente d’avoir eu un peu mal,
d’avoir un peu souffert. D’avoir été utile. Pas comblée. Simplement contente de
vivre un lien si fort qu’il en rend d’autres inutiles. Ou impossibles. »
« C’est ça le bonheur ? Jouir à répétition ?
Il me dit : je crois que c’est avoir de l’appétit. Comme les deux Turcs.
Ils avaient la force. Il fait une pause, je sens qu’il réfléchit, et
puis : Au fond, peut-être que le bonheur, c’est d’avoir envie de courir
derrière le bonheur. »
« Il y a dans l’air quelque chose de magique. Chaque
matin le bonheur. Ca me gifle. Dès que je sors, j’ai l’impression d’avoir de
l’avance sur la vie. Je marche très vite. »
« Üsküdara giderirken altimda bir yagmur,
Kâtibimin setresi uzun, etegi çamur. (En allant à
Scutari, je suis pris par la pluie. La redingote de mon secrétaire est si
longue que l’étoffe en est toute boueuse. )
Plus tard ils m’ont appris la chanson. J’aimais ces sons qui
venaient du fin fond de la gorge, des sons vrais. »
« Presque personne n’est artiste dans sa vie. Presque
chacun peut le devenir. Il dit qu’être artiste, c’est vouloir partager ses
émotions. Mois je dis : ‘J’ai aucun talent. Il répond : Il faut
de la technique, oui. Le reste, c’est le cœur. Le talent c’est ce qui vient du
cœur. C’est ce qui te porte vers l’autre, si tu veux vraiment partager. Sinon
c’est pas la peine. »
« La ventriloquie, c’est un travail de contorsionniste.
Ce n’est pas les muscles des jambes ou des bras, c’est ceux de la gorge, c’est
tout. La partie arrière de la langue recule. Là où les muscles se contractent,
en bourrelets, tu crées une nouvelle bouche, dans la gorge. ‘Tutto qui.’ »
« Elle avait le regard du matin. »
« C’est ça aimer, pensa Aldo. Ne rien dire. Etre là.
Quelques notes d’une musique de Kodàly un matin de chagrin. »
« Rose avait fait luthière comme d’autres font
cuisinières militaires. Pour avoir un endroit où aller. »
« Vivre, c’est oublier. »
La pension Marguerite
– Metin Arditi
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