"Et ce fut comme si le temps s'arrêtait, comme si l'Ame du Monde surgissait de toute sa force devant le jeune homme.
Quand il vit ses yeux noirs, ses lèvres qui hésitaient entre le sourire et le silence, il compris la partie la plus essentielle et la plus savante du Langage que parlait le Monde, et que tous les êtres de la terre étaient capables d'entendre en leur coeur. Et cela s'appelait l'Amour, quelque chose de plus vieux que les hommes, et que le désert même, et qui pourtant resurgissait toujours avec la même force, partout où deux regards venaient à se croiser comme se croisèrent alors ces deux regards près d'un puits. Les lèvres enfin se décidèrent pour un sourire, et c'était là un signe, le signe qu'il avait attendu sans le savoir pendant un si long temps de sa vie, qu'il avait cherché dans les livres et auprès de ses brebis, dans les cristaux et dans le silence du désert.
Voilà, c'était le pur Langage du Monde, sans aucune explication, parce que l'Univers n'avait besoin d'aucune explication pour continuer sa route dans l'espace infini. Tout ce qu'il comprenait en cet instant, c'était qu'il se trouvait devant la femme de sa vie, et sans la moindre nécessité de paroles, elle aussi devait le savoir. Il en était plus sûr que de n'importe quoi au monde, même si ses parents, et les parents de ses parents, avaient toujours dit qu'il fallait d'abord faire sa cour et se fiancer, connaître l'autre et avoir de l'argent avant de se marier. Qui disait cela n'avait sans doute jamais connu le Langage Universel, car lorsqu'on se baigne dans ce Langage, il est facile de comprendre qu'il y a toujours dans le monde une personne qui en attend une autre, que ce soit en plein désert ou au coeur des grandes villes. Et quand ces deux personnes se rencontrent, et que leurs regards se croisent, tout le passé et tout le futur sont désormais sans la moindre importance, seul existe ce moment présent, et cette incroyable certitude que toute chose sous la voûte du ciel a été écrite par la même Main. La Main qui fait naître l'Amour, et qui a créé une âme soeur pour chaque être qui travaille, se repose, et cherche des trésors sous la lumière du soleil. Parce que, s'il n'en était pas ainsi, les rêves de l'espèce humaine n'auraient aucun sens.
"Mektoub", se dit-il."
"Ma crainte d'échouer est ce qui m'a empêché jusqu'ici de tenter le Grand Oeuvre."
"Fatima rentra dans sa tente. D'ici peu, le soleil allait paraître. Au lever du jour, elle sortirait faire ce qu'elle faisait depuis des années: mais tout avait changé. Le garçon n'était plus dans l'Oasis, et l'Oasis n'aurait plus la signification qu'elle avait jusque là, bien peu auparavant. Ce ne serait plus cet endroit de cinquante mille palmiers dattiers et trois cents puits, où les pèlerins étaient heureux d'arriver au terme d'un long voyage. L'Oasis, à partir de ce jour, serait pour elle un lieu vide.
De ce jour, le désert serait plus important que l'Oasis. Elle passerait son temps à regarder le désert, en se demandant sur quelle étoile le garçon se guidait, à la recherche du trésor. Elle lui adressait ses baisers par le vent, es espérant que celui-ci toucherait le visage du jeune homme et lui dirait qu'elle était vivante, qu'elle l'attendait, comme une femme attend un homme de courage qui suit sa route, en quête de songes et de trésors.
De ce jour, le désert ne serait qu'une seule chose: l'espérance de son retour."
"il suffit de contempler un simple grain de sable, et tu verras en lui toutes les merveilles de la Création."
"Mais le vent se remit à souffler. C'était le levant, le vent qui venait d'Afrique. Il n'apportait pas l'odeur de désert, ni la menace d'une invasion des Maures.
En échange, il apportait un parfum qu'il connaissait bien, et le murmure d'un baiser, qui arrive doucement, tout doucement, pour se poser sur ses lèvres.
Il sourit. C'était la première fois qu'elle faisait cela.
'Me voici, Fatima, dit-il. J'arrive.'"
L'Alchimiste - Paulo Coelho
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire