"Tous les jours je fixais les yeux de monsieur Ibrahim et ça me donnait du courage.
Après tout, c’est qu’un Arabe !
- Je ne suis pas arabe, Momo, je viens du Croissant d’Or.
J’ai ramassé mes commissions et je suis sorti, groggy, dans la rue. Monsieur Ibrahim m’entendait penser ! Donc, s’il m’entendait penser, il savait peut-être aussi que je l’escroquais ?
Le lendemain, je ne dérobais aucune boîte mais je lui demandais :
- C’est quoi le Croissant d’Or ?
J’avoue que, toute la nuit, j’avais imaginé monsieur Ibrahim assis sur la pointe d’un croissant d’or et volant dans un ciel étoilé.
- Cela désigne une région qui va de l’Anatolie jusqu’à la Perse, Momo.
Le lendemain, j’ajoutai en sortant mon porte-monnaie :
- Je ne m’appelle pas Momo, mais Moïse.
Le lendemain, c’est lui qui ajouta :
- Je sais que tu t’appelles Moïse, c’est bien pour cela que je t’appelle Momo, c’est moins impressionnant.
Le lendemain, en comptant mes centimes, je demandai :
- Qu’est-ce que ça peut vous faire à vous ? Moïse c’est juif, c’est pas arabe.
- Je ne suis pas arabe Momo, je suis musulman.
- Alors pourquoi on dit que vous êtes l’arabe de la rue, si vous êtes pas arabe ?
- Arabe, Momo, ça veut dire « ouvert de huit heures du matin jusqu’à minuit et même le dimanche » dans l’épicerie.
Ainsi allait la conversation. Une phrase par jour. Nous avions le temps. Lui, parce qu’il était vieux, moi parce que j’étais jeune ? Et un jour sur deux, je volais une boîte de conserve."
Eric-Emmanuel Schmitt - Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran
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