« Les
jeunes gens qui débutent dans la philosophie, les amateurs qui se tournent vers
la philosophie seront-ils longtemps encore satisfaits de travailler dans la
nuit, sans pouvoir répondre à aucune interrogation sur le sens et la portée de
la recherche où ils s’engagent ? »
« je
croyais docilement que l’ouvrier dans la rue, le paysan dans sa ferme me
devaient de la reconnaissance puisque je me consacrais d’une manière noble,
pure et désintéressée à la spécialité du spirituel au profit de l’homme en
général, qui comprend, parmi ses espèces, des ouvriers et des fermiers. Mes
maîtres faisaient tout pour m’entretenir au sein d’une illusion si agréable
pour eux-mêmes. »
« Les
hommes n’aiment point être dupés, ils n’ont pas tous une naïveté assez
considérable pour croire qu’un agrégé de philosophie est en vertu de sa
fonction un terre-neuve ou même une personne respectable. »
« De
même, l’exploitation présente des ouvriers, l’anarchie de la terre, la
corruption des politiques, la misère sentimentale dont tout le monde est en
train de mourir ne sont pas des déviations actuelles d’une destinée béatifique
de l’humanité-en-soi. »
« Le
malheur est que, dans l’état présent de la pensée, tout le monde se laisse
encore duper par des ressemblances de cette sorte : l’apparence
systématique, l’architecture et le style communs des diverses constructions de
l’intelligence appliquée à la philosophie permettent de prendre les méditations
de M. Lalande pour une incarnation de la philosophie au même titre que le
spinozisme, incarnation simplement plus pâle, plus modeste, plus anémique, mais
rigoureusement comparable, de la même chair et du même sang. »
« ils
veulent que tout ce qui se fait dans le monde les serve, les machines et les
livres, les discours et les pensées, les Etats et la poésie. C’est ainsi qu’est
l’espèce : elle ramène tout à soi. »
« La
philosophie présente qui dit et croit qu’elle se déroule au profit de l’homme
est-elle dirigée réellement et non plus en discours et croyances en faveur des
hommes concrets ? A quoi sert cette philosophie ? Que fait-elle pour
les hommes ? Que fait-elle contre eux ? Que peuvent être les
relations de la philosophie et des hommes ? C’est seulement en leur nom et
de leur part que sera dissipée l’équivoque du mot philosophie. Il ne faut point
croire sur parole ses promesses abstraites et la générosité paresseuse qui
coule dans ses mots. »
« Ces
penseurs disent en somme que la philosophie dans tout le cours de son histoire
a consisté à avancer et à retirer des pièces mobiles su un échiquier des
idées. »
« Il
y a un commerce perpétuel entre le philosophe et le passant : la
philosophie d’Epicure garde un ton quotidien même malgré ses appels célestes
est encore lié à l’argile de la vie humaine. Ce secret fut longtemps
perdu. »
« Nous
vivons dans un temps où les philosophes s’abstiennent. »
« Mais
les philosophes sont justement des hommes qui font du prosélytisme. »
« La
Sorbonne aura toujours du mal à regarder Marx comme un philosophe, mais non
Lachelier et Boutroux, prêtre manqués. »
« En
politique, indifférent veut dire satisfait. »
« Aucune
thèse de doctorat n’a encore exprimé la lutte des classes que la bourgeoisie
militante mène, la nécessité de l’esclavage industriel, la haine, la peur et la
colère que le prolétariat inspire à la bourgeoisie. »
« Nous
n’accepteront pas éternellement que le respect accordé au masque des
philosophes ne soit finalement profitable qu’au pouvoir des banquiers. »
« la
philosophie fournit-elle au besoin des armes aux politiques. »
« Tout
bourgeois se sent élu. »
« L’homme
qui travaille ne moralise pas : il fait une morale. »
« Les
places fortes que sous la monarchie l’Eglise tenait pour le roi et pour les
nobles furent occupées sous la République par l’école et l’université de
l’Etat. »
« Voici
ce qu’il faut dire du clerc : il est bon à tourner sa logique, il ne sait
rien faire de son entendement. »
« La
culture de l’intelligence est une arme. La question est de savoir si les
bourgeois mettront cette arme dans un coin où elle rouillera, ou bien si elle
sera reprise et maniée. Dans les universités, dans les écoles, dans les lycées,
des jeunes gens sont en train d’apprendre le maniement académique de cette
arme : ne feront-ils point un autre usage de cette connaissance ? A
l’heure où la civilisation de leurs pères est exposée au danger final,
accepteront-ils de la défendre contre les hommes ? Ou bien trahiront-ils
leurs pères ? Ils sont en position de subir les effets de la révolution de
la honte, au travers de laquelle s’opère ‘l’entente de ceux qui pensent et de
ceux qui souffrent’. »
Les
chiens de garde – Paul Nizan
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