« le
frémissement de la peau d’Aurore, son odeur de roche, le battement de ses cils,
les écailles dorées qui miroitaient dans ses yeux… »
« C’est
du bœuf de Kobé, expliqua-t-il. Tu sais qu’au Japon, on les masse avec du saké
pour faire pénétrer le gras dans les muscles ?
Je
fronçai les sourcils. Il continua :
-Pour
les cajoler, on mélange leur nourriture avec de la bière et pour les détendre
on leur diffuse à plein volume de la musique classique. Si ça se trouve, le
steak que tu as dans ton assiette a écouté les concertos d’Aurore. Et peut-être
même qu’il en est tombé amoureux. Tu vois, vous avez des choses en
commun ! »
« On
dirait que vous avez deux de tension avec vos yeux en couilles
d’hirondelle ! »
« Ecrire
me plongeait dans un état étrange : la réalité laissait peu à peu place à
la fiction et mes héros devenaient parfois si réels qu’ils m’accompagnaient
partout. Leurs souffrances, leurs doutes, leurs bonheurs devenaient les miens
et continuaient à me hanter bien après le point final du roman. »
« Depuis
longtemps, j’étais fasciné par le liens ténus entre création et maladie
mentale. Camille Claudel, Maupassant, Nerval, Artaud avaient peu à peu sombré
dans la folie. Virginia Woolf était allée se noyer dans une rivière ;
Cesare Pavese s’était fini aux barbituriques dans une chambre d’hôtel ;
Nicolas de Staël s’était défenestré ; John Kennedy Toole avait relié le
pot d’échappement à l’habitacle de sa voiture…. »
« C’est
plus facile de se détruire à petit feu que d’avoir le courage de se remettre en
cause, n’est-ce pas ? »
« Mais…
il n’y a pas de terme pour vous qualifier ! Vous êtes… les dix plaies
d’Egypte à vous toute seule ! »
« Puis…
elle ne se souvenait plus de rien. Elle s’était réveillée le lendemain matin,
couchée sur son canapé, sa jupe relevée. Pendant plus de trois mois, entre
tests VIH et tests de grossesse, elle avait flippé à mort, mais n’avait pu se
résoudre à porter plainte parce que au fond, elle s’estimait en partie responsable de ce qui s’était passé.
J’avais
ravivé ce souvenir dégueulasse et à présent, elle me dévisageait, les larmes
aux yeux :
-Pourquoi….
Pourquoi m’infligez-vous des saloperies pareilles dans vos romans ?
La
question me toucha en plein cœur. Ma réponse fut honnête :
-Sans
doute parce que vous portez en vous certains de mes démons : ma part la
plus noire, la plus détestable. Celle qui évoque en moi dégoût et
incompréhension. Celle qui me fait perdre parfois tout respect pour
moi-même. »
« -C’est
le côté culturel qui vous émoustille ?
-Oui,
Aurore est cultivée. Et tant pis si ça vous ennuie. Moi, j’ai été élevé dans un
quartier de merde. Ca gueulait tout le temps : des cris, des injures, des
menaces, des coups de feu. Il n’y avait pas un livre, à part TV Guide, et je
n’y ai jamais entendu Chopin ou Beethoven. Alors oui, ça me plaisait de côtoyer
une Parisienne qui me parlait de Schopenhauer et de Mozart plutôt que de cul,
de dope, de rap, de tatouage et de faux ongles ! »
« -Oh,
et puis merde ! explosa-t-elle en quittant le terrasse. D’ailleurs, je
m’en bats la coquillette de votre Carole ! »
« Nous
avons tous vécu ce genre d’expériences : des moments de grâce semblant
orchestrés par un architecte céleste capable de tisser entre les être et les
choses des liens invisibles pour nous apporter exactement ce dont nous avons
besoin au moment précis où nous en avons besoin. »
« Justement,
dans un coin de la pièce, quelqu’un venait de s’installer au piano pour égrener
les premières notes de As Time Goes By. Je me retournai, m’attendant presque à
tomber sur Sam, le pianiste noir américain du film Casablanca. »
« -Et
toi, tu es menteuse comme un soutien-gorge.
-Toujours
tes métaphores sexuelles : tu as vraiment un problème avec ça, mon pauvre.
-C’est
toi qui a un souci avec ça ! rétorqua-t-il. Pourquoi tu ne portes jamais
de robes ou de jupes ? Pourquoi tu ne te mets jamais en maillot de
bain ? Pourquoi tu as une réaction épidermique chaque fois que l’on
t’effleure le bras ? Tu préfères les femmes ou quoi ?
Avant
même que Milo ait terminé sa phrase, une gifle magistrale, donnée avec la force
d’un coup de poing, lui cingla le visage. Il eut juste le temps de saisir le
poignet de Carole pour en éviter une deuxième. »
« Avec
douleur, elle régurgita une pâte épaisse et visqueuse avant de s’écrouler sur
le sol. Mais ce que je voyais n’était pas du vomi. C’était de l’encre. »
« -Donc,
si j’ai bien compris, pour toi l’écrivain et le lecteur coopèrent pour créer le
monde imaginaire ? »
« Mais
avec celle qu’il voulait séduire, il était le plus souvent doux et tendre, et c’est
de cette contradiction que les femmes tombaient amoureuses, éprouvant cette
impression grisante d’avoir l’exclusivité d’un comportement qu’il refusait aux
autres. »
« Elle
portait une casquette en tweed et un ensemble sombre – jupe courte grise sur
collant noir, blouson cintré sur col roulé – qui lui donnait un côté London
girl. »
La fille de papier – Guillaume Musso