jeudi 23 mai 2013
mardi 7 mai 2013
Novembre - Gustave Flaubert
« J’aime l’automne, cette triste saison
va bien aux souvenirs. Quand les arbres n’ont plus de feuilles, quand le ciel
conserve encore au crépuscule la teinte rousse qui dore l’herbe fanée, il est
doux de regarder s’éteindre tout ce qui naguère brûlait en vous. »
« La puberté du cœur précède celle du
corps ; or j’avais plus besoin d’aimer que de jouir, plus envie de
l’amour que de la volupté. »
« Il y a un âge, vous le rappelez-vous,
lecteurs ? où l’on sourit vaguement, comme s’il y avait des baisers dans l’air ;
on a le cœur tout gonflé d’une brise odorante, le sang bat chaudement dans les
veines, il y pétille, comme le vin bouillonnant dans la coupe de cristal. Vous
vous réveillez plus heureux et plus riche que la veille, plus palpitant, plus
ému ; de doux fluides montent et descendent en vous et vous parcourent
divinement de leur chaleur enivrante ; les arbres tordent leurs tête sous
le vent en de molles courbures, les feuilles frémissent les unes sur les
autres, comme si elles se parlaient ; les nuages glissent et ouvrent le
ciel où la lune sourit et se mire d’en haut sur la rivière. Quand vous marchez,
le soir, respirant l’odeur des foins coupés, écoutant le coucou dans les bois,
regardant les étoiles qui filent, votre cœur, n’est-ce pas, votre cœur est plus
pur, plus pénétré d’air, de lumière et d’azur que l’horizon paisible, où la
terre touche le ciel dans un calme baiser. Oh ! comme les cheveux des
femmes embaument ! Comme la peau de leurs mains est douce ! Comme
leurs regards nous pénètrent ! »
«Ces passions que j’aurais voulu avoir, je les
étudiais dans les livres. La vie humaine roulait, pour moi, sur deux ou trois
idées, sur deux ou trois mots, autour desquels tout le reste tournait comme des
satellites autour de leur astre. J’avais ainsi peuplé mon infini d’une quantité
de soleils d’or ; les contes d’amour se plaçaient dans ma tête à côté des
belles révolutions, les belles passions fac à face des grands crimes ; je
songeais à la fois aux nuits étoilées des pays chauds et à l’embrasement des
villes incendiées, aux lianes des forêts vierges et à la pompe des monarchies
perdues, aux tombeaux et aux berceaux ; murmure du flot dont les joncs,
roucoulement des tourterelles sur les colombiers, bois de myrte et senteur
d’aloès, cliquetis des épées contre les cuirasses, chevaux qui piaffent, or qui
reluit, étincellement de la vie, agonies des désespérés, je contemplais tout du
même regard béat, comme une fourmilière qui se fût agitée à mes pieds. »
« car il y a des jours où l’on est si
triste que l’on voudrait se faire plus triste encore ; on s’enfonce à
plaisir dans le désespoir comme dans une route facile, on a le cœur tout gonflé
de larmes et l’on s’excite à pleurer. J’ai souvent souhaité d’être misérable et
de porter des haillons, d’être tourmenté de la faim, de sentir le sang couler
d’une blessure, d’avoir une haine et de chercher à me venger. »
« mais le bonheur aussi ne serait-il pas
une métaphore inventée un jour d’ennui ? »
« mais le cœur de l’homme est inépuisable
pour la tristesse : un ou deux bonheurs le remplissent ; toutes les
misères de l’humanité peuvent s’y donner rendez-vous et y vivre comme des
hôtes. »
« J’étais,
dans la variété de mon être, comme une immense forêt de l'Inde, où la vie
palpite dans chaque atome et apparaît, monstrueuse ou adorable, sous chaque
rayon de soleil; l'azur est empli de parfums et de poisons, les tigres
bondissent, les éléphants marchent fièrement comme des pagodes vivantes, les
dieux, mystérieux et difformes, sont cachés dans le creux des cavernes parmi de
grands monceaux d'or; et au milieu coule le large fleuve, avec des crocodiles
béants qui font claquer leurs écailles dans le lotus du rivage, et ses îles de
fleurs que le courant entraine avec des troncs d'arbre et des cadavres verdis
par la peste.
J’aimais pourtant la vie expansive,
radieuse, rayonnante ; je l’aimais dans le galop furieux des coursiers,
dans le scintillement des étoiles, dans le mouvement des vagues qui courent
vers le rivage ; je l’aimais dans le battement des belles poitrines nues,
dans le tremblement des regards amoureux, dans la vibration des cordes du
violon, dans le frémissement des chênes, dans le soleil couchant, qui dore les
vitres et fait penser aux balcons de Babylone où les reines se tenaient
accoudées et regardant l’Asie. »
« Quelquefois, pour secouer ce
manteau de plomb qui me pesait sur les épaules, m’étourdir de sciences et
d’idées, je voulais travailler, lire ; j’ouvrais un livre, et puis deux,
et puis dix, et, sans avoir lu deux lignes d’un seul, je les rejetais avec
dégoût et je me remettais à dormir dans le même ennui. »
« Je suis né avec le désir de
mourir. »
« j’étais jaloux de leurs regrets,
parc qu’ils cachaient des bonheurs que je n’avais pas eus. »
« L’odeur des vagues montait
jusqu’à moi, avec la senteur du varech et des plantes marines ;
quelquefois elles paraissaient s’arrêter ou venaient mourir sans bruit sur le
rivage festonné d’écume, comme une lèvre dont le baiser ne sonne point. »
« Comment faire ? qui
aimer ? qui vous aimera ? quelle sera la grande dame qui voudra de
vous ? la beauté surhumaine qui vous tendra les bras ? Qui dira
toutes les promenades tristes que l’on fait seul au bord des ruisseaux, tous
les soupirs des cœurs gonflés partis vers les étoiles, pendant les chaudes
nuits où la poitrine étouffe. »
« les plis de vos robes ont des
bruits qui nous remuent jusqu’au fond de nous, et il émane de la surface de
tout votre corps quelque chose qui nous tue et nous enchante. »,
« C’est surtout aux approches du
printemps, quand les lilas commencent à fleurir et les oiseaux à chanter sous
les premières feuilles, que je me sentais le cœur pris du besoin d’aimer, de se
fondre tout entier dans l’amour, de s’absorber dans quelque doux et grand
sentiment, et comme de se recréer même dans la lumière et les parfums. »
«Elle
avait une robe blanche, à manches courtes, elle se tenait le coude appuyé sur
le rebord de la fenêtre, une main près de la bouche, et semblait regarder par
terre quelque chose de vague et d’indécis ; ses cheveux noirs, lissés et
nattés sur les tempes, reluisaient comme l’aile d’un corbeau, sa tête était un
peu penchée, quelques petits cheveux de derrière s’échappaient des autres et
frisottaient sur son cou, son grand peigne d’or recourbé était couronné de
grains de corail rouge.
Elle jeta un cri quand elle m’aperçut et se
leva par un bond. Je me sentis d’abord frappé du regard brillant de ses deux
grands yeux ; quand je pus relever mon front, affaissé sous le poids de ce
regard, je vis une figure d’une adorable beauté : une même ligne droite
partait du sommet de sa tête dans la raie de ses cheveux, passait entre ses
grands sourcils arqués, sur son nez aquilin, aux narines palpitantes et
relevées comme celles des camées antiques, fendait par le milieu sa lèvre
chaude, ombragée d'un duvet bleu, et puis là, le cou, le cou gras, blanc, rond
; à travers son vêtement mince, je voyais la forme de ses seins aller et venir
au mouvement de sa respiration, elle se tenait ainsi debout, en face de moi,
entourée de la lumière du soleil qui passait à travers le rideau jaune et
faisait ressortir davantage ce vêtement blanc et cette tête brune.
A la
fin elle se mit à sourire, presque de pitié et de douceur, et je m'approchai.
Je ne sais ce qu'elle s'était mis aux cheveux, mais elle embaumait, et je me
sentis le coeur plus mou et plus faible qu'une pêche qui se fond sous la
langue. Elle me dit :
-
Qu'avez-vous donc ? venez !”
“C'est une des plus belles choses des
amants que les cheveux donnés et échangés.”
“Ou
bien je rêvais ; à dix ans déjà, j'avais des nuits fiévreuses, des nuits
pleines de luxure. N'était-ce pas la luxure qui brillait dans mes yeux, coulait
dans mon sang, et me faisait bondir le coeur au frôlement de mes membres entre
eux ? elle chantait éternellement dans mon oreille des cantiques de volupté ;
dans mes visions, les chairs brillaient comme de l'or, des formes inconnues
remuaient, comme du vif-argent répandu.
A
l'église je regardais l'homme nu étalé sur la croix, et je redressais la tête,
je remplissais ses flancs, je colorais tous ses membres, je levais ses
paupières ; je me faisais devant moi une homme beau, avec un regard de feu ; je
le détachais de la croix et je le faisais descendre vers moi, sur l'autel,
l'encens l'entourait, il s'avançait dans la fumée et de sensuels frémissements
me couraient sur la peau.
Quand
un homme me parlait, j'examinais son oeil et le jet qui en sort, j'aimais
surtout ceux dont les paupières remuent toujours, qui cachent leurs prunelles
et qui les montrent, mouvement semblable au battement d'ailes d'un papillon de
nuit ; à travers leurs vêtements, je tâchais de surprendre le secret de leur
sexe, et là-dessus j'interrogeais mes jeunes amies, j'épiais les baisers de mon
père et de ma mère, et la nuit le bruit de leur couche.”
“A peine fut-il sorti que je me
levai, j'allai à la fenêtre, je l'ouvris et je laissai l'air me refroidir la
peau ; j'aurais voulu que l'Océan pût me laver de lui, je refis mon lit,
effaçant avec soin toutes les places où ce cadavre m'avait fatiguée de ses
convulsion. Toute la nuit se passa à pleurer ; désespérée, je rugissais comme
un tigre qu'on a châtré. Ah ! si tu étais venu alors ! si nous nous étions
connu dans ce temps-là ! tu avais été du même âge que moi, c'est alors que nous
nous serions aimés, quand j'avais seize ans, que mon coeur était neuf ! toute
notre vie se fût passée à cela, mes bras se seraient usés à t'étreindre sur
moi, mes yeux à plonger dans les tiens.”
“A
cette époque, je lisais beaucoup ; il y a deux livres que j'ai relu cent fois :
Paul et Virginie et un autre qui s'appelait Les Crimes des Reines.
On voyait les portraits de Messaline, de Théodora, de Marguerite de Bourgogne,
de Marie Stuart et de Catherine II. « Etre reine, me disais-je, et rendre la
foule amoureuse de toi ! » Eh bien, j'ai été reine, reine comme on peut l'être
maintenant ; en entrant dans ma loge je promenais sur le public un regard
triomphant et provocateur, mille têtes suivaient le mouvement de mes sourcils,
je dominais tout par l'insolence de ma beauté.”
“Où irai-je ? la terre est grande,
j'épuiserai tous les chemins, je viderai tous les horizons ; puissé-je périr en
doublant Le Cap, mourir du choléra à Calcutta ou de la peste à Constantinople !”
“Quant à séduire une jeune fille, il
se serait cru moins coupable s'il l'avait violée, attacher quelqu'un à soi
était pour lui pire que de l'assassiner. Il pensait sérieusement qu'il y a
moins de mal à tuer un homme qu'à faire un enfant ; au premier vous ôtez la
vie, non pas la vie entière, mais la moitié ou le quart ou la centième partie
de cette existence qui va finir, qui finirait sans vous ; mais envers le
second, disait-il, n'êtes-vous pas responsable de toutes les larmes qu'il
versera depuis son berceau jusqu'à sa tombe ? sans vous, il ne serait pas né,
et s'il naît, pourquoi cela ? pour votre amusement, non pour le sien, à coup
sûr ; pour porter votre nom, le nom d'un sot, je parie ? autant vaudrait
l'écrire sur un mur ; à quoi bon un homme pour supporter le fardeau de trois ou
quatre lettres ?”
“Comme il n'avait d'énergie pour rien
et que le temps, contrairement à l'avis des philosophes, lui semblait la
richesse la moins prêteuse du monde, il se mit à boire de l'eau-de-vie et à
fumer de l'opium ; il passait souvent ses journées tout couché et à moitié
ivre, dans un état qui tenait le milieu entre l'apathie et le cauchemar.”
“Il eut peur, il rentra, toute la
nuit il entendit le vent siffler dans la terreur ; il fit un énorme feu et se
chauffa de façon à se rôtir les jambes.”
“Enfin, au mois de décembre dernier,
il mourut, mais lentement, petit à petit, par le seule force de la pensée, sans
qu'aucun organe fût malade, comme on meurt de tristesse, ce qui paraîtra
difficile aux gens qui ont beaucoup souffert, mais ce qu'il faut bien tolérer
dans un roman, par amour du merveilleux.”
Novembre – Gustave Flaubert
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